Toute l'œuvre de Jean Echenoz est traversée de passants ordinaires, fantômes sans importance, à la limite de l'ectoplasmique. Des antihéros dont l'apparente vacuité permet de mieux souligner par une espèce d'hyperréalisme très stylisé celle du quotidien. Heureusement, il y a les femmes. Heureusement, il y a la vie. Heureusement, il y a les accidents.
Dans le genre, Gérard Fulmard, personnage central de son nouveau roman, Vie de Gérard Fulmard est un modèle. Presque un prototype. La quarantaine, pas très grand, un peu trop gros, il regarde passer les jours, aussi mornes que lui, depuis son petit appartement sans plus de grâce de la rue Erlanger, Paris XVIe. Bien entendu, il vit seul. Steward, il fut un temps où il voyagea. Il ne l'est plus, pas plus qu'il ne bouge. Un jour, puisqu'il faut bien gagner sa vie autrement qu'en la perdant à petit feu, il s'imagine ouvrir à son domicile une agence de filatures, recherches, recouvrements, n'importe quoi, et en assure la publicité dans un de ces journaux gratuits de quartier que l'on trouve parfois sans s'en saisir jamais... La clientèle ne se bouscule pas jusqu'au jour où..., une certaine Nicole Tourneur, la compagne du fondateur d'un petit parti politique, le FPI, Fédération populaire indépendante, parti que l'on classerait volontiers très à droite, mais ce n'est pas le problème, disparaît et que ces responsables proposent au plus inoffensif des hommes de tenter de la retrouver. On l'aura compris, Franck Fulmard fera l'affaire. Et se retrouvera plongé dans un milieu où il sera comme un poisson rouge dans un bocal de piranhas.
L'a-t-on assez dit ou écrit ? L'œuvre de Jean Echenoz ne vient pas que de sa fréquentation première du noir et du classicisme dandy à la Manchette qu'il a toujours revendiqué. Il y a chez lui aussi des échos de l'hyperréalisme de Ponge, de la « redistribution » du réel de Queneau et même de la fantaisie d'un Marcel Aymé. C'est particulièrement vrai avec ce roman presque intégralement parisien. Même si, comme toujours chez lui, l'exotisme n'est pas absent, on en apprendra ici un peu plus sur l'île de Sulawesi en Indonésie. C'est-à-dire qu'il y a à la fois une allégresse romanesque qui exclue moins que jamais le sarcasme et osons le mot, le désespoir. Est-ce ainsi que les hommes vivent (et meurent) ? Avec Jean Echenoz, le lecteur aura bien peur que oui.
Vie de Gérard Fulmard
Minuit
Tirage: 55 000 ex.
Prix: 18,50 euros ; 240 p.
ISBN: 9782707345875