La sélection publiée dans Dessins en 2010 avait révélé l'immense talent du satiriste Mrozek derrière le dramaturge reconnu dont Noir sur blanc a entrepris depuis plusieurs années la publication des oeuvres complètes. Voici, avec cet imagier, ce petit dico illustré des mots français, le cahier d'apprentissage dans lequel il a acéré sa plume : 1 500 dessins laissés dans un carton pendant cinquante ans.
On est en 1955 à Cracovie. Staline est mort deux ans plus tôt. Mrozek a 25 ans et commence à apprendre le français avec une vieille aristocrate polonaise. Il fixe, en quelques traits stylisés et mini rébus, le vocabulaire de ces cours qui ressemblent à des conversations informelles. Tout est en vrac. Sans ordre alphabétique ni logique. Mrozek mélange les mots les plus concrets aux concepts les plus abstraits ("rechigner", "recueillement", "insipide" ou "contingent"). Des mots rares ("fouir"), démodés ("lavallière"), des mots à plusieurs sens ("chassis", "pignon"), voire inconnus au dictionnaire ou écrits avec une orthographe incertaine... Rien ne lui fait peur. Même si, parfois, impuissant à figurer le sens, Mrozek se résout à écrire la traduction en polonais. Le dessin peut aussi rester très énigmatique : pour "broncher", un bonhomme-trait qui trébuche sur un caillou... Mais, la plupart du temps, le mot s'anime avec une saisissante évidence : "abordable/pas abordable" se lit en trois lignes et une silhouette. "La mort fortuite" s'incarne en un squelette équipé d'une faux et... d'un parachute.
Mrozek ne deviendra jamais un dessinateur - ces croquis ressemblent le plus souvent à des dessins d'enfants un peu maladroits - mais, sous l'humilité du trait, tout son sens du raccourci signifiant, sa réjouissante et tragique dérision sont déjà là.