Sacré parcours que celui de Jeff Bezos ! Le P-DG d'Amazon fête cette année les 25 ans de la librairie en ligne qu'il a créée, dit-on, dans son garage. Un quart de siècle après, la start-up américaine a muté en un groupe mondial dominant le commerce en ligne, et en particulier celui du livre. Plaçant les attentes du client au cœur de sa stratégie sur un marché historiquement mû par l'offre plutôt que par la demande, le groupe de Seattle a obligé l'ensemble du monde du livre, éditeurs, distributeurs et libraires confondus, à une véritable révolution copernicienne.
Par son profil, Jeff Bezos fait penser à notre Napoléon. De sa stratégie de conquête, on retient d'abord les batailles, le sang et les larmes. Autrement dit, les conflits avec toutes les professions du livre, un cortège de procès, de démêlés fiscaux et de conflits sociaux, inauguré dès 1997 par une procédure intentée à Amazon par la chaîne de librairies américaine Barnes & Noble pour revendication frauduleuse du caractère de « plus grande librairie du monde ». Mais l'entrepreneur devenu depuis deux ans l'homme le plus riche du monde a aussi provoqué, directement ou indirectement, une restructuration du marché du livre qui n'a pas que des défauts. Il l'a fait entrer dans le XXIe siècle avec l'accélération des livraisons et la multiplication des services au client, l'encouragement à la transmission des ouvrages et donc au développement durable par la refonte du marché de l'occasion, la mobilité et l'écologie encore grâce au numérique, l'accès universel à l'édition via l'autoédition, la réinvention des librairies comme lieux de socialisation autour du livre complémentaires du commerce en ligne.
Reste que sa tentation hégémonique, renforcée par son opacité, menace les équilibres du marché. Aujourd'hui, l'édition mondiale a pour principal client un détaillant pour lequel le livre ne représente qu'une part très minoritaire de son chiffre d'affaires. Un risque.