« La Main est à la fois une rue et un quartier. Dans sa définition la plus étroite, la Main, c’est le boulevard Saint-Laurent, l’ancienne ligne de partage entre le Montréal français et celui des Anglais. Une rue française d’essence et de langage. Artère populaire et bruyante de petites boutiques et de bas loyers, elle fut naturellement la première étape pour les vagues d’immigrants qui déferlaient sur la ville. […]A chaque vague, une nationalité différente arrivait dans la Main et y laissait des émigrés effarés, effrayés et pleins d’espoir. »
Et sur ce « royaume des gueux » règne un homme, un flic, Claude LaPointe. A chaque heure du jour, et la nuit venue, il croise en ces parages, petites putes paumées, toxicos, « robineux » (les clochards de Montréal), macs, dealers et bookmakers, faisant régner un ordre relatif où l’arbitraire voisine en bonne intelligence avec la justice… Depuis la mort de sa femme, quelques années auparavant, et la balle qu’il a prise près du cœur, LaPointe n’a plus d’autre distraction que des parties de cartes avec ce qui lui tient lieu d’amis, un juif philosophe, un commerçant trop nerveux et un prêtre. Le meurtre d’un anonyme dans une ruelle va lui permettre de trouver ce qu’il ignorait chercher encore, « le plus grand chagrin possible avant de mourir ».
Solitaire, silencieux, désabusé, endeuillé d’on ne sait quelle révolte, Claude LaPointe est emblématique des héros qui traversent l’œuvre de Trevanian. The Main est le cinquième livre de cet Américain mystérieux (passant sa vie à fuir son pays d’origine et finissant par s’établir, jusqu’à sa mort en 2005, entre l’Angleterre et le Pays basque français) que nous permet de redécouvrir les éditions Gallmeister. Il fut initialement publié sous le titre Le flic de Montréal, par Robert Laffont en 1979. Trevanian, sans s’affranchir vraiment des codes du genre, y déploie une maestria dans la description de ce petit monde écartelé entre la grâce et la perdition qui l’apparente bien plus au Mordecai Richler de L’apprentissage de Duddy Kravitz, qu’à aucun autre de ses coreligionnaires, producteurs « en gros » de thrillers. Aussi lancinant et émouvant qu’un solo de trompette de Chet Baker. Olivier Mony