Ses livres sont de ceux qui marquent durablement. De ceux que l’on garde précieusement et que l’on offre autour de soi. Le Norvégien Per Petterson, dont l’œuvre est traduite et couronnée à travers le monde, a l’art de vous serrer le cœur et la gorge. Après Pas facile de voler des chevaux (Gallimard, 2006, repris en Folio) et Maudit soit le fleuve du temps (Gallimard, 2010), la collection "Du monde entier" propose l’admirable Je refuse.
Les chapitres oscillent entre une période contemporaine, en 2006, et des épisodes qui se sont déroulés en 1962 ou au début des années 1970. Le premier personnage à entrer en scène se nomme Jim. La cinquantaine, celui-ci a mis "son existence en berne". Il n’a jamais connu son père, habite seul dans le nord-est d’Oslo. En congé de maladie depuis un an, Jim boit trop et veut arrêter de fumer. Avec son vieux caban élimé et son bonnet de laine, il pêche en jetant sa ligne d’un pont. Même s’il n’aime plus trop le poisson et donne ceux qu’il arrive à attraper. Un matin, le voici qui croise celui qui a jadis été son meilleur ami. Tommy Berggren, bien habillé au volant de sa Mercedes flambant neuve. Il ne l’a pas revu depuis vingt-cinq ans. Le lecteur s’embarque sur le fleuve du temps dont parle chaque fois si bien Petterson. Il découvre un Tommy, alors âgé de 10 ans, qui parvenait à sauver de la noyade dans l’étang le vieux chien Lobo. Un Tommy meilleur joueur de baseball de l’école et dont la mère, Tya, avait un jour embarqué sur un navire en partance pour l’autre bout de la terre.
Depuis, le gamin avait fait front avec sa sœur Siri et les jumelles contre leur éboueur de père. Un amateur des romans de Zane Grey qui flanquait des coups de pied aux fesses à ses enfants. Un père taiseux qui, quand Tommy avait à peine 14 ans, avait cherché à lui clouer le bec et l’avait tabassé, un lundi de Pentecôte, avant que Tommy n’arrive à lui rendre la monnaie de sa pièce…
Per Petterson n’a pas son pareil pour rendre palpables les sensations, l’engourdissement. Pour évoquer des êtres meurtris qui tentent de changer de vie, de lutter contre le courant qui les emporte. "On oublie facilement que les choses sont différentes quand on est jeune ; l’univers est plus beau et on a la vie devant soi. Et puis ça se gâte, tout fout le camp, le monde vole en éclats du jour au lendemain", écrit-il avec tant de justesse. Ne ratez pas Je refuse. Un roman superbe qui vous happe et vous bouleverse par son économie de moyen, sa puissance d’évocation. Al. F.