1er septembre > Essai France

Lors d’une conférence donnée en 1939, Alfred Hitchcock avait défini le "MacGuffin" comme l’élément moteur du scénario, le prétexte qui indique au spectateur où il se trouve. C’est le briquet dans L’inconnu du Nord-Express ou la clé dans Le crime était presque parfait. Il s’agit du détail qui tue, de l’élément qui rappelle tout le film. Avec perspicacité, Alain Jaubert a fureté dans l’histoire pour tenter de comprendre comment une partie parvient à dire le tout.

Ainsi la moustache d’Hitler qui ressemble à celle de Chaplin. Elle a fini par résumer l’identité de l’homme qui a mis l’Europe en ruines tout comme elle colle au destin du génie qui l’avait amusée. Jaubert voit dans cet attribut un "je-ne-sais-quoi" susceptible d’illustrer une métaphysique du pire ou du rire. Dans un registre plus paysan, il observe aussi la moustache de Staline qui rappelle celle de Nietzsche, en forme de rouleau compresseur. Beaucoup de dictateurs, notamment soviétiques, traversent ces textes inédits ou bien repris d’articles ou de conférences. Tous s’attachent à saisir ce "despejo", ce "je-ne-sais-quoi" envisagé au XVIIe siècle par Baltasar Gracián pour définir l’imperceptible d’un personnage, cet accessoire qui est montré à l’envi et qui dissimule pourtant l’essentiel. Alain Jaubert cite en exemple le fez noir de Mussolini ou les lunettes fumées de Jaruzelski.

Tous ces petits essais s’assemblent dans une belle cohérence comme l’esquisse d’une histoire de l’image et du corps. On voit bien comment ce dernier est exhibé au fil du temps et jusqu’à aujourd’hui comme un trait manifeste du pouvoir. C’est le cas de Poutine en Fregoli moderne, qui s’affiche dans toutes les postures avantageuses et n’hésite pas à montrer son poitrail musclé censé protéger la nation russe.

Alain Jaubert a l’œil du réalisateur - il est l’auteur de l’émission "Palettes" diffusée sur Arte -, mais il possède aussi la plume de l’écrivain - citons Val Paradis (Gallimard, 2004) ou Au bord de la mer violette (Gallimard, 2013) - pour aborder les images ou les œuvres d’art dans ce qu’elles nous révèlent de plus intime. Le détail derrière lequel se cachent tous ces personnages est souvent la clé de leur caractère. Reste à savoir, comme chez Hitchcock, quelle porte elle ouvre. Laurent Lemire

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