Boll et son trait à l’encre de chine sont bien connus des lecteurs de Livres Hebdo. En s’essayant pour la première fois au roman, le dessinateur change de forme sans changer d’esprit. Avec la complicité de la graphiste Sandrine Nugue, aux manettes à la "mise en scène typographique", il compose un polar loufoque, peuplé d’inspecteurs Clouzot et de Tontons flingueurs, qui parodie les codes de la série noire. Boll ne cache pas ses références en matière de comique burlesque : Eduardo Mendoza de L’artiste des dames et de La grande embrouille, Gaston Leroux… Mais son humour a été aussi biberonné au nonsense british du Monty Python Flying Circus. Voilà pour les hommages les plus évidents.
Pour ce qui est de l’intrigue, car il y a bien une intrigue - "L’Affaire" -, c’est l’assassinat de Jean-Jacques de Tréfond-Trévise : trente-six coups de hache dans le dos dans son hôtel particulier du 79, rue des Cailloux-qui-Moussent (Paris 16e). Loi du genre oblige, qui dit meurtre dit suspects et témoins en tous genres. Bien sûr, des policiers enquêteurs sont sur les dents. Impliqués aussi, quelques journalistes, un détective privé, un chasseur de primes, une concierge plus souvent dans l’ascenseur que dans l’escalier, un ministre de l’Intérieur et un prétendant au trône de France… Boll balade ses personnages de la Guyane ("Pont-ô-Combôô (district sud)") à la Seine-et-Loire, avec escale à Valparaiso, en accumulant les cadavres et les conflits réglés aux poings. "Après, ça vira franchement dans le confus. On fit dans la distribution gratuite de pains dans la gueule. On était comme qui dirait en période de solde pour la tarte à cinq doigts." Mais tout en alternant les registres, il suit son fil l’air de rien. De clichés pris au pied de la lettre, de détournement fantaisiste d’expressions toutes faites, d’exercices de style façon Queneau (journal intime, articles de presse, affichettes, graffitis, lettre recommandée, petites annonces, consignes en cas d’incendie ou encore désopilants ordres du jour d’assemblées de copropriété), l’affaire est ainsi joyeusement, absurdement emballée dans son sac en papier. On s’amuse beaucoup dans cette partie de Cluedo qui part en vrille. Et on ne dit pas ça parce que le facétieux maître du jeu est un collaborateur de notre journal.
Véronique Rossignol