Hier après-midi, je planais. Du moins, j’aurais plané si je n’avais pas eu d’articles à écrire sur Le Clézio. Son prix Nobel est un vrai bonheur. J’avais lu Le Clézio par hasard, en tombant sur Le procès-verbal dans la minuscule bibliothèque de mon village. Il y avait une telle énergie dans cette écriture… Dans le millier de volumes que possédait la bibliothèque, dont j’allais m’occuper plus tard, pas d’autre titre du futur prix Nobel… J’ai cherché ailleurs, j’ai trouvé, j’ai lu et relu, sans savoir encore que je rencontrerais l’auteur, des années après, à plusieurs reprises. Et qu’il me ferait une impression aussi forte que son œuvre. Hier matin, en revanche, je doutais. Les noms qui reviennent le plus souvent dans les rumeurs, les jours qui précèdent l’attribution du Nobel, sont rarement ceux qui sont proclamés ensuite. Il faudrait avoir une très bonne mémoire et avoir vécu plus que centenaire, ou alors fouiller dans les archives, pour savoir si les huit écrivains de la collection consacrée aux Nobel chez Points avaient vu, ou non, leur sacre précédé de bruits favorables. Toujours est-il que voici (encore) une série limitée à laquelle un cachet particulier est donné par des étudiants de l’Ecole nationale des arts décoratifs. Les couvertures en noir et blanc sont originales et frappent l’œil. Les textes aussi. Mais ils ne sont pas tout à fait, comme l’affirme le communiqué de presse, « huit romans d’exception ». La preuve par Rabindranath Tagore (prix Nobel 1913) puisque De l’aube au crépuscule est une anthologie de ses poèmes établie en 1997 par Herbert F. Vetter. Albert Schweizer n’a donc pu la lire sous cette forme, bien qu’il soit l’auteur de la préface. Un collage que je trouve douteux même si cette préface d’une page n’est faite que de généralités. Elle pourrait convenir à n’importe quel autre recueil de Tagore. Rêveurs , de Knut Hamsun (Nobel 1920) est bien un roman. Pas le plus connu de l’auteur de La faim . Je m’interroge d’ailleurs sur le choix de certains titres retenus pour cette série spéciale. Bien sûr, La faim est édité ailleurs… En revanche, Cent ans de solitude , de Gabriel García Márquez (Nobel 1982) était paru au Seuil, et sa sélection semblait évidente. Davantage que pour Pelures d’oignon , de Günter Grass (Nobel 1999). Le tambour aurait-il fait peur par son volume ? Comme La montagne de l’âme , de Gao Xingjian (Nobel 2000), roman auquel Une canne à pêche pour mon grand-père a été préféré ? En ce qui concerne Alexandre Soljenitsyne (Nobel 1970), je reste perplexe : Le clocher de Kaliazine (pas un roman non plus) était-il bien l’ouvrage à faire découvrir d’urgence ? Heureusement, les deux derniers romans sont indiscutables : Disgrâce , de J.-M. Coetzee (Nobel 2003) et La pianiste , d’Elfriede Jelinek (Nobel 2004). La littérature étrangère a été naturellement privilégiée (même si Gao Xingjian est français, il écrit en chinois) : elle correspond à un fonds qui lui donne une large place. Mais si l’opération est renouvelée l’année prochaine, vers la fin septembre, elle pourra proposer Raga, approche du continent invisible , que Le Clézio a publié au Seuil et qui est déjà disponible en Points.