Il faut que jeunesse se passe, dit-on des jeunes gens pour excuser leurs frasques. Si la jeunesse passe en effet, quelque chose ne passe pas toujours : l’amour, le besoin d’aimer, d’être aimé. Nina Bouraoui n’a jamais cessé, au fond, d’écrire sur le désir, de dépeindre livre après livre ses troubles, ses ivresses, ses éblouissements (La vie heureuse, Stock, 2002 ; Sauvage, même éditeur 2011). Premiers émois, premières déceptions mais, vaille que vaille, on répond à l’appel, c’est l’envol vers l’absolu du sentiment, auquel, quoique échaudé, on est accro tel celui qui a le vertige mais que le vide aimante. L’irrémissible attrait, l’auteure à la veine autofictionnelle l’avait décliné sur un ton étonnamment naturaliste dans son précédent roman Standard (Flammarion), l’histoire d’un gris ingénieur en informatique qui brûle ses vaisseaux pour replonger dans une passion adolescente.
Quand on aime à l’âge mûr, on ne s’emballe plus comme à 20 ans, on aime avec une certaine distance, avec raison. La juvénile saison de sa vie est derrière, la narratrice de Beaux rivages est avec Adrian. Elle habite Paris, lui la Suisse, cette situation d’amants perpétuels ne partageant que les moments privilégiés de la séduction et jamais les temps morts du couple au quotidien. N’être pas scotchés l’un à l’autre lui allait très bien, elle avait eu toute confiance en Adrian. Jusqu’au jour où. "Nos années se succédaient sans heurt, ou si peu. Elles étaient au nombre de huit. Nous tenions notre chance. J’aimais assez Adrian pour accepter de tomber avec lui s’il avait dû un jour tomber. Je n’ai jamais pensé qu’il puisse être à l’origine de ma noyade." Survient la séparation : l’Autre, cette fille qui n’était même pas plus jeune, qui vit à Zurich, et tient un blog plus ou moins érotique que la narratrice suit avidement et de manière masochiste. C’est la dérive : le manque d’appétit, les insomnies que le Zoloft et l’alcool n’apaisent guère. Et l’impossible rupture : Adrian garde les clés de chez elle, continue de l’avoir au téléphone. Dans Beaux rivages, Nina Bouraoui renoue avec le "je" de l’intime qui explore jusqu’aux plus secrètes anfractuosités de la psychologie amoureuse et fait l’éloge, au-delà des affres de la fin d’une histoire, du beau risque. S. J. R.