La ferme de Daniel renferme encore les traces et les parfums de sa femme. "Je crois qu’un lieu peut se souvenir", dit-il. Ce couple d’éleveurs se battait avec ferveur pour garder la tête hors de l’eau. Les animaux étaient leur gagne-pain, mais la modernité a imposé des lois impitoyables, qui ne sont pas sans rappeler celles que dénonce par ailleurs Jean-Baptiste Del Amo. L’amour constituait le ciment du duo, mais Thanatos leur a arraché leur bonheur. "Il était impossible qu’elle soit morte, parce que ses sentiments pour elle n’avaient pas du tout diminué." Refusant la fatalité, cet homme triste et solitaire s’attelle aux maintes tâches du quotidien. "Le poids de la pluie" distille une opposition entre "la force de l’usure" et celle de la nature, liée à la saison de l’agnelage. Tandis que ce héros donne la vie, un "grand gars" sème la mort. Un gitan, toujours accompagné d’une horde de chiens. Il relève presque de la mythologie. Il chasse les rats dans les terres agricoles, tout en organisant des combats de blaireaux illégaux, particulièrement féroces. Un gosse s’y frotte comme s’il s’agissait d’un baptême, mais il n’en sortira pas indemne.
Elu livre de l’année 2015 au pays de Galles, ce roman impose le style sans concession de Cynan Jones, déjà auteur de Longue sécheresse (Joëlle Losfeld, 2010). Ce texte court, violent et beau se situe à mi-chemin entre Steinbeck et Ron Rash. Une rage de vivre et de tuer qui constitue l’un des grands pôles de l’humanité face à la sauvagerie. K. E.