Le 24 mars 1999, à 11 heures du matin, un camion frigorifique belge qui transportait de la margarine et de la farine a pris feu alors qu'il se trouvait sous le tunnel du Mont-Blanc. L'incendie, qui durera plus de deux jours, provoquera la mort de 39 personnes. Parmi ceux-ci, Pierlucio Tinazzi, un jeune motard chargé de la sécurité du tunnel et demeuré dans la mémoire collective comme le héros de cette tragédie pour avoir sauvé dix personnes du brasier en les ramenant sur sa moto avant d'y laisser à son tour la peau.
Dix miraculés et un héros, donc ; figure archangélique autour de laquelle tourne et rôde tendrement le superbe et élégiaque premier roman d'Eric Sommier, Dix. Si son Lucio est si vrai, c'est d'abord parce que sa recréation romanesque en exacerbe la vérité. Le fait divers tragique n'est ici que la toile de fond d'une "pavane pour un enfant défunt". L'obsession du "cela a eu lieu", des causes et des effets (et cette quête obstinée n'a d'équivalent dans la littérature contemporaine que l'atrocement endeuillé La part du feu de Norman Maclean), n'est "adoucie" que par celle de redonner à cet anonyme, ce motard au coeur de l'enfer, mieux qu'un destin, une vie. Une vie de fils un peu triste et d'homme empêché, une vie comme en suspens, entre deux pays, deux vallées, une mère trop présente et une femme en allée, le chagrin des amours de rien et le sourire de la vitesse. Eric Sommier, quarante-huit ans, vivant dans la région lyonnaise, dirigeant d'une entreprise de fusions et acquisitions, a déjà signé deux essais sur l'univers de la mode. L'élégance de son écriture témoigne de cette dilection. Moins réflexion sur l'héroïsme (quoique...) que chant d'amour et tentative de réintroduire de l'harmonie au sein du désastre, son Dix est l'une des belles surprises de cette rentrée romanesque.