Cette fois c’est la raclée, pas l’habituelle petite tape pour faire semblant, en signe d’avertissement. Radwân avait prévenu Sikirida, sa mère, qu’il ne voulait plus qu’elle reçoive des hommes à la maison. Mais là trop c’est trop, ce type affalé dans le canapé en pleine journée, qui ne s’était même pas levé pour le saluer comme si c’était lui l’intrus ! L’adolescent a battu sa mère car il ne supporte plus les quolibets de ses copains : "le Fils des Vingt", l’appellent-ils, à savoir le fils putatif des vingt bonshommes avec qui l’immigrée éthiopienne au service de Mme Adiba, riche veuve de Beyrouth, a couché avant sa naissance… Dans son nouveau roman, La minette de Sikirida, Rachid El-Daïf allie la satire d’une société arabo-musulmane dans le carcan des interdits religieux avec un beau portrait de femmes qui trouvent par mille contournements le moyen d’assouvir leur désir.
Après la claque inaugurale, l’art du récit de l’écrivain, né en 1945 à Zgharta (Liban), nous entraîne dans le passé, treize ans auparavant, alors que "Mama Adiba" découvre le ventre rond de sa servante chrétienne et cherche tous les moyens d’éviter qu’on la remette dans le premier avion pour Addis-Abeba. Elle repousse avec adresse les pressions des uns et des autres, sollicite l’avis du cheikh, "jurisconsulte" du clergé chiite, afin de ne pas ajouter une faute à la faute. Quant à faire avorter Sikirida, hors de question. C’est que Mme Adiba sait ce qu’est la férule du pouvoir mâle. Elle a été mariée, à peine nubile, à un ami de 50 ans de son père, qui avait gagné son pari au jeu.
La minette de Sikirida, par le prisme de la veuve Adiba et de sa domestique éthiopienne, raconte une histoire de résistance de femmes sous le joug de la domination masculine, dont les victimes collatérales sont les hommes : voir la misère sexuelle de Radwân. Aussi est-ce par les femmes que passent le salut et le chemin de la liberté. Plût à Dieu, Allah, l’Etat, qu’elles eussent voix au chapitre. Sean J. Rose