Arthur Dreyfus est encore jeune, 30 ans cette année. Mais il a fait pas mal de chemin depuis ses débuts littéraires (La synthèse du camphre, Gallimard, 2010), il a vécu diverses expériences, écrit des livres pas tous majeurs. Avec Sans Véronique il franchit un cap, il atteint sa maturité créatrice.
Son nouveau roman est un miracle de puissance, de sensibilité, porté par une écriture très originale, un souffle qui ne retombe à aucun moment. Les Florestan - un couple de Français tout ce qu’il y a d’ordinaire, des gens simples, bientôt seniors, unis par un amour fou, celui de toute une vie, qui n’a pas besoin de grands mots pour s’exprimer - se séparent dans le métro parisien : elle part en voyage, lui rentre à la maison, en grande banlieue. Dès l’abord, le lecteur est prévenu, c’est la dernière fois que Bernard voit Véronique vivante. Et, de ces adieux est témoin un jeune passager, tendre ami d’un jeune Syrien lecteur de Baudelaire, Darwish, rentré à Damas, non point pour rallier Daesh mais juste pour des vacances. Dans un message, il explique à son amoureux que la ville est, malgré la guerre, plutôt tranquille et sûre.
Sousse aussi, et la Tunisie, en principe. C’est là que se rend Véronique, avec son amie Dominique, passer une semaine au soleil, offerte par Intermarché, où elle est caissière depuis toujours. Bernard est un peu inquiet, seul pour la première fois, désœuvré et déboussolé, surtout le dimanche. Leur fille, Alexia, avec qui les rapports sont difficiles, vient prendre soin de lui. Mais le plombier-modéliste attend impatiemment de reprendre le travail, et des nouvelles de Véronique. C’est alors que tout bascule.
Nous sommes le 26 juin 2015, et un Tunisien de 23 ans, Seifeddine Rezgui (qu’Arthur Dreyfus appelle Lakhal), un étudiant sympathique, ouvert, sans problème apparent, du moins à l’origine, vient de massacrer 38 personnes dans un hôtel et sur une plage d’El-Kantaoui, à la kalachnikov, avant d’être abattu par la police. Dans la réalité, dont le romancier s’est inspiré, surtout des Anglais sont morts. Dans sa fiction, Véronique fait partie des victimes. C’est même son corps qui a été, le premier, montré à la télévision. Bernard et Alexia l’ont reconnu au petit tatouage à sa cheville.
Le récit va suivre parallèlement le calvaire de Bernard, qui part pour la Syrie, dans un djihad inversé, afin de se faire justice lui-même, d’en tuer "au moins un", de ces terroristes, et retrace l’itinéraire du tueur, pourquoi et comment il a pu en arriver là. De la littérature terriblement contemporaine. J.-C. P.