16 janvier > Histoire France > Emmanuel Jousse

Mitterrand contre Rocard, Blum contre Mollet, Guesde contre Jaurès, Proudhon contre Louis Blanc. Depuis ses origines, le socialisme français oscille entre révolution et évolution. Dans un savant travail d’histoire des idées, Emmanuel Jousse nous propose de revenir aux sources de cette mécanique contradictoire, à la charnière du XIXe et du XXe siècle, pour découvrir ce que signifiait le réformisme.

Pour ce chercheur associé au Centre d’histoire de Sciences po, le réformisme fut "le mot d’une haine et le masque d’une honte". Il traduit surtout la crise intellectuelle de la gauche française qui ne veut pas trahir une pensée révolutionnaire tout en produisant un système sans doctrine à la différence du marxisme ou du syndicalisme révolutionnaire. "Les socialistes de 1908 savaient de quoi ils parlaient dans leurs débats. Le mot signifiait assez pour susciter des allégeances et des anathèmes, il était suffisamment ancien pour cristalliser une compréhension particulière du socialisme."

Ce socialisme, nous dit Emmanuel Jousse, s’est construit sur une "passion révolutionnaire", mais s’est défini contre "une raison réformatrice". Pour cela, il fallait le coup de semonce de la "question sociale" avec l’émergence d’une classe ouvrière à défendre.

Le socialisme réformiste apparaît alors comme la capacité à relever les défis du quotidien. On ne change pas tout, on aménage, voire on déménage. Dans ce bel exercice en trois parties comme dans toute bonne thèse dont ce livre est tiré, l’historien s’attache d’ailleurs moins à expliquer à quoi pensent les réformistes qu’à montrer ce qu’ils font. En fait, ils préparent le socialisme au pouvoir. Nous voyons ainsi ressurgir des personnalités oubliées comme Benoît Malon, Jules Joffrin, Paul Brousse, Gustave Rouanet, Alexandre Millerand ou Albert Thomas.

Ce qui transparaît dans l’évocation de cette période marquée par l’affaire Dreyfus, la Grande Guerre et la révolution d’Octobre, c’est l’impossible mue sociale-démocrate du socialisme français à la différence de ce qui s’est passé en Angleterre ou en Allemagne à la même époque. Ce processus de scission avec la pensée révoltée des origines prend ses racines avec la Commune et s’affirme politiquement avec des tribuns comme Jaurès.

En un siècle, le réformisme a changé de statut. De discriminant, il est devenu rassembleur. Enfin, c’est ce que ses défenseurs voudraient bien faire croire. Mais que faire quand le réformisme de François Hollande est plombé par son impopularité, quand Manuel Valls annonce carrément la fin du socialisme et quand Emmanuel Macron cherche un autre terrain d’occupation ?

Ce livre, à la croisée des chemins entre l’histoire des concepts et l’histoire sociale, nous ramène à des préoccupations très actuelles. Nous sommes à la fois très loin de la campagne présidentielle et très proches des débats sur la nécessité d’un changement. Pour l’anecdote, le mot "réformiste" apparaît en 1841 pour la première fois sous la plume d’Etienne Cabet. Pas étonnant qu’il émane d’un utopiste. Laurent Lemire

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