3 mai > Roman France > Pascal Quignard

Peindre fut une gageure pour les peintres au début de la photographie. Le romancier, lui, a vu avec l’arrivée du cinéma, et désormais, des séries, un sérieux concurrent en matière de story telling. Pascal Quignard fait fi des simulacres de la logique scénaristique et préfère les artifices du protocole littéraire afin de mieux rendre compte de la vérité des êtres.

Dans Tous les matins du monde, il mettait en scène, entre autres, le violiste du XVIIe siècle M. de Sainte-Colombe. Pour ce nouveau roman, Dans ce jardin qu’on aimait, Quignard se penche à nouveau sur la vie d’un musicien, veuf inconsolable, mais qui compose à partir des sons les plus triviaux de son petit univers : le presbytère qu’il occupe en tant que pasteur. Le révérend Simeon Pease Cheney est ministre de Dieu et également musicien. Pour lui, la moindre sonorité participe de l’harmonie de la création. "Le seau, où la pluie s’égoutte, qui pleure sous la gouttière de zinc, près de la marche en pierre de la cuisine, est un psaume !" prêche ce pasteur de la Nouvelle-Angleterre des années 1860. Néanmoins, ce qui l’intéresse le plus, bien avant Maurice Ravel ou Olivier Messiaen, c’est le chant des oiseaux, le peuple ailé qui habite le jardin de celle qui mourut en couches à l’âge de 24 ans en lui donnant un enfant. En retranscrivant le babil des volatiles, c’est un peu une part de sa défunte épouse, les mânes d’Eva, qu’il convoque au milieu de ce mausolée verdoyant qu’est devenu le "jardin qu’on aimait". L’homme, s’il est d’Eglise, n’en est pas moins homme. L’âme de sa femme le hante de manière très incarnée. Il n’a rien oublié de sa silhouette gracile, de ses cheveux brun roux, du grain de sa peau, de l’orbe de ses seins.

Aujourd’hui leur fille, Rosamund, qui veille sur lui, a dépassé l’âge de sa propre mère et approche de la trentaine. Elle a rattrapé feu sa mère en années comme en beauté. Pour le révérend à la longue barbe blanche, c’est insupportable - une insulte à la mémoire de sa chère disparue, une ombre au tableau de son tête-à-tête fantasmé avec la morte. Le père chasse la fille. C’est Le roi Lear à l’envers.

Pascal Quignard a imaginé son roman comme une pièce, avec "une scène très obscure simplement divisée en deux par une diagonale de lumière. Cette diagonale […] comme une longue baie vitrée formant un effet de miroir, séparant le jardin du révérend du salon de sa cure." Dans ce huis clos bruissant du gazouillis des oiseaux, les personnages dont le nom est indiqué comme au théâtre se donnent la réplique ; il y a même un "récitant" qui joue la partition de Simeon ou commente tel le coryphée du chœur antique et double du narrateur. Le récit se fait didascalie. Désir que n’abolit pas la mort, innocence toujours perdue entre un père et sa fille. La tragédie est à la fois violente et ténue. D’une grâce hiératique. Sean J. Rose

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