Déjà dans l’ambitieux premier album d’Isabel Greenberg, L’encyclopédie des débuts de la terre (Casterman, 2015), un garçon se sortait des mauvaises passes par son aptitude à captiver son auditoire. Dans Les cent nuits de Héro, qui confirme la puissance et la richesse de l’imaginaire de la jeune (28 ans) dessinatrice de presse londonienne, et où l’on retrouve le peu commode dieu-oiseau, son fils obéissant et sa fille rebelle, c’est une jeune femme qui tire parti de ses talents de conteuse.
Entre Moyen Age et Renaissance, deux châtelains échangent des propos banalement machistes sur les femmes. Jérôme finit par parier la sienne, dont il n’a jamais pu forcer la vertu, ainsi que son château, que Manfred ne parviendra pas à la séduire en cent nuits. Manfred relève le défi et part chaque soir à l’assaut de Cherry. Mais celle-ci peut compter sur Héro, sa servante et aussi son amante, pour l’aider à le repousser. Membre de la ligue secrète des conteuses, Héro raconte chaque soir à Manfred des histoires dont il devient si dépendant que la conquête de Cherry passe au second plan de ses priorités. Inversant la perspective des Mille et une nuits, faisant du conte un moyen d’écarter un seigneur grossier et vaniteux plutôt que de le retenir, Isabel Greenberg en signe une lecture féministe. Son dessin faussement naïf installe une ambiance magique dans laquelle des sentiments universels, amour et envie, courage et bassesse, fidélité et manipulation, se jouent de l’espace et du temps. Fabrice Piault