Vers l’an mil, sous l’ère Heian, le Japon est en proie à des luttes féroces entre des clans puissants, dont les Fujiwara, qui prendront bientôt le pouvoir. A Heiankyo, qui deviendra Kyoto, règne le jeune Nijo Tenno, 15 ans, dans un monde en soi, le palais impérial, où tout est organisé, ritualisé à l’extrême. Par exemple, son administration dispose d’un Bureau des jardins et des étangs, dirigé par Nagusa, assisté du jeune et beau Kusakabe. Chaque année, Katsuro, un pêcheur et éleveur de Shimae, un village totalement perdu, vient livrer une vingtaine de carpes exceptionnelles, destinées à peupler les étangs du palais, où prient moines shintoïstes et bouddhistes, ainsi que l’empereur et sa cour. C’est dire l’importance de sa mission. Mais, cette année, Katsuro ne viendra pas. Il est mort noyé, englué dans la boue en revenant de la rivière Kusagawa. Le village, qui touche les trois quarts de sa rétribution, est catastrophé. Jusqu’à ce que sa veuve, Miyuki, qu’unissait à son époux plus âgé un amour très charnel, décide de prendre sa suite, d’effectuer une dernière livraison. Huit carpes, seulement, dans des paniers étanches suspendus à une palanche de bambou qui lui scie les épaules.
En dépit de bien des mésaventures, la jeune femme, courageuse et obstinée, parviendra jusqu’à la capitale, effectuera sa mission, et rencontrera Nagusa. Elle aurait pu s’en retourner chez elle, après paiement de ses carpes survivantes. Mais le destin et les kami ne l’ont pas voulu ainsi. Durant son séjour, l’empereur décide d’organiser un concours de parfums, auquel il participe en personne, ainsi que ses hauts dignitaires. Il s’agit de reconstituer l’odeur d’"une jeune femme sur un pont de bois", dont il a rêvé. Seul Nagusa, fasciné par les sécrétions du corps humain (la salive de Miyuki, par exemple, laquelle se rend compte de son état et lui dit : "Je pue"), y parviendra, aidé par la pêcheuse, somptueusement récompensée. C’est alors que, rentrant chez elle, le destin frappe à nouveau : elle retrouve Shimae dévasté par un tremblement de terre, anéanti et déserté, à l’exception de Hakuba, un jeune garçon en qui elle voit le possible successeur de Katsuro. Mais les dieux le permettront-ils ?
Avec une érudition impressionnante, un vrai souffle romanesque et une sensualité païenne, Didier Decoin nous emporte dans un grand roman d’aventures façon Dit du Genji. Une réussite totale, qui a nécessité pas moins de douze années de travail.
Jean-Claude Perrier