Voici un roman qui, en matière d’érudition, de construction, de collision entre les époques, en l’occurrence la Renaissance italienne et nos jours, de frisson apocalyptique - et si le pape était assassiné par des terroristes islamistes manipulés par de puissants fanatiques fascistes et intégristes "bien de chez nous"? -, de rythme (il s’en passe des choses, en une quinzaine de jours), n’a rien à envier aux meilleurs thrillers, façon Da Vinci code. On sait, depuis Le Turquetto (Actes Sud/Leméac, 2011) et La confrérie des moines volants (Grasset, 2013), que Metin Arditi est un maître d’un genre, le thriller historique, auquel il revient, pour le plaisir de ses lecteurs.
Tout commence donc à Venise, le 11 janvier 2016, par l’assassinat de Donatella, une chercheuse qui faisait une thèse sur la Scuola grande del Sepolcro, une curieuse institution, sulfureuse car en rapport avec les thèses de Copernic, et détruite pendant le Carnaval noir de 1575. On apprendra vite qu’elle a été éliminée par des sicaires de Valeurs et traditions, une puissante société secrète basée en Suisse, phalanstère qui forme de jeunes nazillons intégristes, adeptes de la théorie du "remplacement" des Européens "de souche" par les "hordes arabo-musulmanes"… A sa tête, Zaccaria, financier officieux du Vatican, assisté d’un psychopathe, Bartolomeo San Benedetto, un paumé mystique redoutable. C’est lui la cheville ouvrière du complot: le 29 juin, à Rome, tandis que des djihadistes feront diversion en massacrant des fidèles dans la basilique Saint-Pierre, d’autres assassineront le pape "rouge" François, dans sa maison de Santa Marta, afin de le remplacer par le cardinal espagnol Fernandez-Diaz, alias "El Tigre", acquis aux idées de la Congrégation des pèlerins ibériques, qui sévit au XVIIe siècle.
Mais un grain de sable va venir gripper cette sinistre mécanique: Benedict Hugues, professeur de latin médiéval en Suisse et spécialiste de Boèce, retrouve par hasard dans la reliure d’un volume ayant appartenu au cardinal Vasangiacomo une lettre extrêmement compromettante, à propos des hérétiques à Venise, et des menaces qui pesaient sur la vie du pape de l’époque, Grégoire XIII. Le parallèle lui saute aux yeux. L’universitaire futé et courageux, assisté de ses collègues italiennes, de la séduisante journaliste Mado Antille (à qui il a imprudemment donné une interview à propos de ses recherches), va guider les policiers dans leur enquête, lesquels démasqueront les conjurés (parmi lesquels le banquier Pierre Hugues, frère détesté de Benedict) et empêcheront la catastrophe programmée. Sans parler de la réapparition du Christ aux douze doigts, tableau maudit d’un certain Piero il Nano… C’est passionnant, brillant et, hélas, très actuel.
Jean-Claude Perrier