Lorraine Fouchet est écrivaine. Elle est aussi médecin, mais c’est en tant que fille de Christian Fouchet (1911-1974) qu’elle signe ce portrait intime de celui qui fut ministre de l’Intérieur en mai 1968, d’où le titre de cette biographie particulière sur cet homme qu’elle a connu jusqu’à l’adolescence.
Christian Fouchet est mort d’un infarctus à la veille des dix-huit ans de sa fille. Ce géant - il mesurait 1 m 95 comme de Gaulle - tel un chêne foudroyé n’a pu être redressé. Lorraine est devenu médecin, urgentiste… Puis romancière (L’agence, prix Maison de la presse, 2003). Car outre le général, son père comptait aussi parmi ses amis Saint-Exupéry et Malraux. Il est des liens auxquels on n’échappe pas.
Avec tendresse et élégance, elle revient donc sur la gloire de ce père disparu trop tôt qui fut l’un des premiers gaullistes, arrivé à Londres le 17 juin 1940 ! Il fera sourire le Général en lui précisant qu’il était là avant lui…
Aviateur, combattant en Afrique du Nord auprès de Leclerc, il se retrouve délégué du gouvernement français en Pologne. A 33 ans, il assiste à l’entrée des troupes soviétiques dans une Varsovie devenue une ville cimetière. En Pologne, il vit au milieu des revenants qui implorent son aide. Ce que la mort n’a pas fait, la maladie s’en charge. Le jeune Fouchet vient de faire l’expérience de la terrible cruauté des hommes, dans un pays dévasté par le nazisme dont une partie de la population a été exterminée.
Adolescente, Lorraine Fouchet n’avait pas lu les livres de son père. Elle ignorait qu’il s’était occupé des prisonniers et des déportés. Elle revient aussi sur son passage à Calcutta, en 1945, et sa rencontre avec Gandhi et Alexandra David-Néel dont il restera proche.
Ministre des Affaires marocaines et tunisiennes du gouvernement Mendès-France, haut-commissaire de France en Algérie le lendemain de la signature des accords d’Evian, il poursuit sa carrière avec les portefeuilles de l’Education nationale puis de l’Intérieur. Aidé par le préfet de police Maurice Grimaud, Christian Fouchet comprend qu’il faut laisser parler la rue. Grâce à lui, les forces de l’ordre seront maîtrisées et tout bain de sang évité.
Lorraine Fouchet a travaillé comme une historienne. Elle a consulté les archives personnelles et officielles. Mais elle ajoute une touche qui donne à son livre quelque chose d’inédit. Comme souvent dans ce type d’ouvrage, c’est le va-et-vient qui est intéressant. Qui était celui qui n’est plus et comment se construit-on à partir de cette absence ? C’est justement en comblant ce vide, en faisant de l’histoire, en enquêtant sur le passé qu’on parvient à faire quelque chose de son présent qui passe chez elle par l’écriture. "Ecrire, c’est te raconter ce qui s’est passé depuis toi et rendre compte de notre dialogue réel."
Laurent Lemire