En mars prochain, Vladimir Poutine sera peut-être réélu pour six ans. Ce serait pour la dernière fois. Mais il faut se méfier du conditionnel quand il s’agit du maître du Kremlin. L’enquête fascinante de Mikhail Zygar montre qu’il a toujours plusieurs tours dans son sac et plusieurs hommes dans sa cour.
Le reporter qui fut le correspondant international de Kommersant, l’un des journaux russes les plus influents, a rencontré la plupart des protagonistes. Il lui a fallu des années de recherches et d’entretiens pour saisir comment Poutine est "devenu roi par accident" - il explique très bien le processus - et comment son entourage a réussi à fabriquer ce chef d’Etat redouté.
Son ouvrage fut un best-seller en Russie et il a été salué dans les principaux pays où il a été traduit, notamment en Angleterre et aux Etats-Unis. On comprend pourquoi. Grâce à un sens affûté de la mise en scène et un style très thriller, sa visite du Kremlin, de ses alentours et de la politique russe vaut les meilleures séries télévisées américaines. Et les oligarques mis au pas par Poutine, Mikhaïl Khodorkovski en tête, font passer les Don Corleone pour des don Camillo.
Autour de Poutine gravitent des électrons pas très libres, mais terriblement efficaces. Alexandre Volochine, le stratège en chef à la barbe grisonnante, Viatcheslav Volodine qui lit dans les sondages comme dans le marc de café, Dmitri Peskov, l’attaché de presse qui en dit le moins possible aux journalistes étrangers, Vladislav Sourkov, le "samouraï entièrement dévoué au service de l’empereur", Sergueï Ivanov, le James Bond de la place Rouge, ou le vice-Premier ministre, Igor Setchine, qui peut rester sans dormir plusieurs jours d’affilée. "Il fait peur et il le sait. Il peut présider une réunion et tailler tout le monde en pièces, et une fois qu’il est parti, ses subordonnés n’ont plus qu’à dénouer leur cravate et se jeter sur la bouteille de cognac. Puis, il revient soudain dans la pièce, faisant semblant d’avoir oublié quelque chose, et il achève tout le monde."
Pas une femme dans cet entourage, sauf Tatiana Ioumatcheva, la fille de Boris Eltsine, qui continue de croire que son père ne buvait que de l’eau… Quant à Bachar El-Assad, on constate qu’il est soutenu comme la corde soutient le pendu. Bref, après la lecture de cette édifiante chronique, on ne voit pas ce qui empêcherait Poutine d’être réélu.
Laurent Lemire