Erik Orsenna - J’ai découvert l’extraordinaire densité et richesse de ce réseau. Avec 16 500 points d’accès au livre, c’est le réseau culturel le plus important en France. Ce qui m’a frappé, c’est l’immense diversité des services et des activités proposés. La moitié des gens ne viennent pas forcément pour emprunter des livres, et les médiathécaires proposent aux usagers ce qui les intéresse, sans les mépriser s’ils préfèrent les jeux vidéo au livre. Les bibliothèques sont aujourd’hui des lieux de vivre autant que des lieux de livres.
Non, tous les moyens sont bons pour rendre la vie plus vivante, c’est-à-dire aider chacun à découvrir en soi des potentiels. Alors, oui, pourquoi ne pas venir à la bibliothèque pour cuisiner ensemble ou prendre un cours de danse ? En partant des demandes plutôt que de l’offre, les bibliothèques proposent une culture qui ouvre, qui ne juge pas. Ce qui est insupportable, c’est de renvoyer le message que selon que vous aimez Rembrandt ou le rap, vous êtes un être civilisé ou quelqu’un de méprisable, et que si l’offre ne vous plaît pas, on n’a rien d’autre à vous dire à part "tant pis pour vous et au revoir !".
Il y en a deux. Le premier, c’est l’argent. Il faut bien sûr que l’Etat joue son rôle et prouve qu’il s’implique. Je suis très content de l’augmentation de 8 millions d’euros de la Dotation générale de décentralisation en 2018, même s’il a fallu gueuler très, très fort pour l’obtenir. Quand j’ai appris en décembre dernier, lors de l’arbitrage budgétaire, qu’il n’y aurait rien, j’étais prêt à démissionner car cela voulait dire que ce que l’on me demandait, c’était de convaincre les élus de bien vouloir dépenser l’argent qu’on venait de leur piquer. Après une bataille farouche, on a obtenu gain de cause, avec un arbitrage direct du président de la République. L’autre manière dont l’Etat doit s’impliquer, c’est à travers les bibliothèques universitaires, qu’il gère directement. Comment imaginer qu’elles ne soient ouvertes ni le dimanche ni pendant les vacances ? La charge d’accueillir les étudiants à ces moments-là repose uniquement sur les bibliothèques publiques. Le deuxième levier, c’est le double investissement direct des élus et des responsables des bibliothèques.
Oui, il y a deux points très clairs dans le rapport, c’est que l’Etat ne doit ni se désengager en considérant que la responsabilité de la lecture publique repose uniquement sur les collectivités territoriales, ni penser que c’est rue de Valois que se décide ce qui est bon pour toute la France. On me demande quelles sont les mesures à prendre, mais c’est aux élus de décider ! Un bel exemple, c’est celui de l’agglomération de Toulouse qui a réussi à mettre en réseau ses 37 communes avec une charte de la lecture publique qui est pour nous un modèle. Je suis très favorable à ce type de démarche. On peut aimer l’Etat et détester le jacobinisme !
Tout à fait. Dans ce livre, ce qui m’a particulièrement intéressé, c’est la question de la cohésion des territoires. J’identifie trois critères qui font d’une ville un endroit où il fait bon vivre : une ville doit être attractive, efficiente et inclusive. Les bibliothèques peuvent en effet y participer.
Ce qui est frappant, quand on regarde la cartographie des bibliothèques ouvertes le dimanche, c’est la grande bande blanche, en gros des Ardennes au Pays basque, qui correspond exactement à ce qu’on appelle la diagonale du vide en matière d’aménagement du territoire. C’est passionnant de voir le rôle des bibliothèques dans l’aménagement des territoires physiques et des territoires mentaux.
On pensait la bibliothèque démodée, elle revient en force et s’est métamorphosée. Pour moi, c’est aujourd’hui le lieu le plus moderne en tant que laboratoire des nouvelles pratiques de la démocratie. La lecture est le meilleur moyen d’émancipation culturelle et sociale et, oui, la France peut devenir un pays de lecteurs. C’est possible.
(1) Désir de villes, petit précis de mondialisation V d’Erik Orsenna et Nicolas Gilsoul, Robert Laffont. 20 euros. A paraître le 1er mars. ISBN : 978-2-221-19275-7