« C’est comme ça que j’ai toujours voulu vivre : dans la bigarrure, l’éclat et le risque » assénait Édouard Limonov dans Le livre de l’eau (éditions Bartillat, 2014, trad. Michel Secinski). Ce poète raté, dissident, vagabond et ancien prisonnier bringuebalé aux quatre coins du monde faisait en effet partie de ceux qui brûlaient la vie par les deux bouts.
Né en URSS, ukrainien, russe ou français, il endossa autant de nationalités que d’occupations. Il revient aujourd’hui au cinéma sous les traits de Ben Whishaw dans Limonov, la ballade, de Kirill Serebrennikov. Présenté à Cannes dans la sélection officielle, il sort en salles le 4 décembre.
Aux historiens, le cinéaste russe a, pour écrire son film, préféré un romancier français. Sa balade est en fait inspirée du roman d’Emmanuel Carrère sobrement intitulé Limonov. Sorti en 2011, l’ouvrage à la forme hybride a reçu le prix Renaudot, celui de la Langue française, le prix des Prix et le prix européen de littérature 2023 aux Pays-Bas.
Sa première édition chez P.O.L s’est écoulée à plus de 200 000 exemplaires. Emmanuel Carrère, qui a été consultant sur ce tournage, ne s’est, il faut dire, pas contenté d’écrire sur Édouard Limonov : après plusieurs rencontres, il a passé quinze jours à ses côtés en 2007, une aventure en Russie racontée dans Le dernier des possédés, reportage pour la revue XXI. À la publication du livre, Édouard Limonov déclara qu’il éprouvait « un plaisir malin à revenir chez les Français comme un héros de mythe », lui qui s’y sentait « trop russe ».
Journal d’un raté
Sur la mythification d’Édouard Limonov, Kirill Serebrennikov conserve une position floue. Comme le héros de son film, il a connu la dissidence et a été condamné à deux années d’assignation à résidence par le pouvoir russe qui l’accusait de détournement de fonds publics, quand la véritable raison de cette condamnation semblait pencher vers des motifs politiques.
Mais les points communs s’arrêtent là. Le réalisateur rappelle notamment dans son long métrage les positions politiques de Limonov sur la situation ukrainienne qui s’est intensifiée pendant la production du film, qui dura cinq ans.
C’est ainsi sous une forme débridée que Kirill Serebrennikov touille les neurones et l’imaginaire de l’Ukrainien, en zoomant sur sa période new-yorkaise. Bercée par la musique du Velvet Underground, elle est la plus riche du film, s’épanche en références au cinéma américain des seventies, mais sans gratuité. On retrouve bien, dans ce rythme volubile, le style du réalisateur qui, déjà, dans son précédent film La fièvre de Petrov, traînait son public à travers plusieurs tableaux inventés par l’esprit sans repos d’un homme malade. Sans repos, Édouard Limonov l’était aussi. Mais qui était-il vraiment ? Même lui semblait l’ignorer, jusqu’à son dernier soupir en 2020.