Dans les années 1990, l'apparition de Julie Doucet dans le paysage de la bande dessinée créa une véritable sensation. Née en 1965, la jeune Québécoise, qui autopubliait son fanzine photocopié, est remarquée et éditée par Drawn and Quarterly au Canada en 1991, puis par L'Association en France en 1996. Sa fraîcheur, sa spontanéité, sa mise en scène joyeuse et frontale de ses préoccupations intimes sont inédites à une époque où les auteures sont alors peu nombreuses et ces sujets rarement abordés. Le ton était déjà donné par le titre de son fanzine, Dirty plotte, plotte désignant la chatte en argot québécois. Aussi marquante que fulgurante, sa carrière en bande dessinée s'arrête pourtant une douzaine d'années plus tard. Julie Doucet se consacre dès lors à d'autres formes d'art (gravure, collages, poésie...) - elle n'est revenue que récemment au dessin.
Trente ans plus tard, alors que la bande dessinée de l'intime et l'autofiction sont devenues monnaie courante, l'enthousiasme à la lecture des récits de Julie Doucet reste le même. Conçue par Jean-Christophe Menu et publiée par L'Association, riche de 400 pages pour moitié inédites et comprenant des récits mais aussi des reproductions de pages de carnets, des collages, des dessins, des couvertures de fanzine, une interview..., cette anthologie (qui n'est pas une intégrale) revigore tout autant que ses publications originelles.
On y retrouve (ou découvre) avec plaisir des récits fous et tourbillonnants, sa gouaille sans pareil et son vocabulaire cru, son dessin énergique, puisant d'abord chez Nicole Claveloux et George Grosz pour ensuite s'affirmer et devenir intense, luxuriant, de plus en plus précis et encré. Sans tabou, avec un certain esprit punk, elle parle de sexe, de menstruation, de masturbation. Dans un entretien à la fin du recueil, Julie Doucet explique : « C'étaient des histoires de ma vie quotidienne, de mes peurs, de mes frustrations. » Des histoires fantasmées ou cauchemardées, où elle se montre sur les toilettes, se cure le nez, se rase les jambes, grignote un pénis, se réveille transformée en homme, fait l'amour avec son double masculin, se lance dans une chasse épique au Tampax, drague ou se fait draguer par des gros lourds, émascule, tue, jure comme un charretier. Chez elle, le discours disparaît derrière un humour rageur et une liberté absolue. Elle n'épargne personne et règle des comptes, mais ne prétend jamais donner de leçon. À la fin d'un récit intitulé « Laissez-moi tranquille », dans lequel elle fuit un ennemi invisible à travers son appartement, elle dit, face caméra : « Laissez-moi tranquille, je n'ai rien à dire. » Cette anthologie prouve bien que c'est faux.
Maxiplotte
L’Association
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 35 € ; 400 p.
ISBN: 9782844147813