Avant-critique Espionnage

John le Carré, "L'espion qui aimait les livres" (Seuil) : Espion, relève-toi

John Le Carré - Photo © Stephen Cornwell

John le Carré, "L'espion qui aimait les livres" (Seuil) : Espion, relève-toi

Publication d'un roman posthume du maître de l'espionnage John le Carré. Un récit inspiré et crépusculaire.

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Par Olivier Mony
Créé le 10.10.2022 à 14h00 ,
Mis à jour le 10.10.2022 à 16h56

Ce n'est pas sans une certaine circonspection que le lecteur de John le Carré (disparu en 2020) envisageait la parution posthume de L'espion qui aimait les livres, son vingt-sixième roman. Disons-le d'emblée, celui-ci n'a pas à rougir des vingt-cinq précédents et il suffit de quelques pages pour que se dissipe toute crainte à son endroit.

De nos jours, dans une petite ville balnéaire de la côte est anglaise. Julian, dans la trentaine, ancien trader de la City vient d'ouvrir une librairie, histoire de se refaire à peu de frais une vertu. Parmi ses clients, invariablement du soir − ou plutôt, parmi ses visiteurs, puisque l'homme ne lui achète jamais rien − un certain Edward Avon. Celui-ci, lecteur acharné de W.G. Sebald, affublé d'un accent polonais assez marqué, se propose de faire son éducation en matière de culture littéraire et lui affirme qu'il aurait fait ses études avec feu le propre père de Julian, un homme d'Église défroqué et endetté. La coïncidence est trop forte pour n'être pas troublante... Dans le même temps, un certain Proctor, maître espion en charge désormais de la sécurité du renseignement britannique, enquête sur de possibles fuites d'informations confidentielles. Son investigation va bien entendu le mener jusque vers cette petite ville du Norfolk et trouvera ses racines dans la vie d'honorables correspondants de l'époque où lui et sa femme étaient des agents opérationnels, notamment au moment de la guerre civile en ex-Yougoslavie.

Singulièrement depuis la chute du mur de Berlin, les romans de John le Carré se distinguent d'abord par leur ambiance très crépusculaire. C'est encore, et peut-être plus que jamais, le cas ici. La vieillesse, la mort, sont désormais les compagnes intimes des personnages qui viennent s'y agiter comme en un vain et ultime tour de piste. Pour eux, tout est déjà consumé et d'abord l'idéal qui sous-tendait leur « travail », tombé sous les coups de la raison d'État, d'une sorte de fatigue démocratique. Il n'empêche, ces crépuscules, cette colère aussi, sont particulièrement beaux. Comme est savoureuse la description par le Carré de cette Angleterre éternelle des vertes campagnes, des vastes demeures et des rivages incertains. De cette fin du jour et de cette terrible permanence des choses, il demeure le peintre le plus inspiré et le plus cruel.

John le Carré
L'espion qui aimait les livres Traduit de l'anglais par Isabelle Perrin
Seuil
Tirage: 50 000 ex.
Prix: 22 € ; 240 p.
ISBN: 9782021503463

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