Treize ans après Alpha... directions, huit ans après la première partie de Beta... civilisations, on croyait Jens Harder perdu dans son entreprise follement ambitieuse de retracer les origines de l'univers et l'histoire des civilisations en trois volumes - ils seront finalement quatre - de bande dessinée muette. Le voilà pourtant de retour en majesté avec la deuxième partie de Beta... civilisations. Dûment chapitré sur quelque 370 pages, comme les précédents tomes, il couvre l'histoire du monde de l'an 1 à nos jours quand le premier volume retraçait les origines de l'univers, et le deuxième l'émergence des sociétés.

De l'antiquité aux temps modernes, l'objectif et la méthode restent les mêmes : embarquer le lecteur dans une grande fresque historique, philosophique, scientifique, politique, économique, écologique et sociale par un savant assemblage de vignettes, qui parlent à tous les sens par leurs résonances subliminales. Seules quelques pages dispersées d'une chronologie très synthétique, et de loin en loin une ligne d'information très didactique (« Le dernier mammouth a été vu il y a plus de 1 000 ans », « En Europe, le changement d'alimentation provoque un pic de croissance de la population et plusieurs vagues d'émigration », « Les limites de la planète sont atteintes les unes après les autres. Mais la roue de la technologie tourne inexorablement »...) fixent quelques repères.

Déployant un savoir encyclopédique qui force le respect, Jens Harder s'appuie sur des représentations naturalistes tirées de l'histoire des sciences, sur des images inspirées par celles des arts. Il navigue de la biologie aux mathématiques et à la physique, de l'architecture à la sculpture, à la peinture et jusqu'à la bande dessinée, accumulant une masse impressionnante de références. Chacun peut y reconnaître les siennes, construire sa propre représentation mentale d'une problématique inépuisable : d'où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?

L'une des grandes forces de l'œuvre tient dans la capacité de son auteur, pour ne pas dire de son démiurge, à organiser un va-et-vient constant entre les événements qu'il décrit et d'autres, antérieurs et postérieurs. La position du téléspectateur se profile dans celle du bouddha. La figure du samouraï laisse entrevoir le cinéma épique ou le manga d'aventure. Les plateformes commerciales de Londres ou Amsterdam préfigurent les trusts bancaires et les mégapoles de gratte-ciels d'aujourd'hui. L'action du mixeur ramène au magma des origines. Jens Harder livre une histoire en mouvements, en attendant, dans quelques années, de dessiner l'avenir du monde dans Gamma... visions.