Jennifer Clement - L’association défend la liberté d’expression, c’est une vraie force intellectuelle qui a les moyens de faire pression quand un poète, un écrivain, un journaliste ou un blogueur est en prison. Mon rôle est de porter cette parole à l’Onu, dans toutes les instances internationales et dans tous les pays. Je suis allée au Pakistan, en Inde, en Turquie, en Hongrie, au Tibet, en Palestine. En Turquie, où plus de deux cents écrivains et journalistes sont en prison, nous avons manifesté. Nous avons aussi soutenu la Palestinienne Dareen Tatour qui vient d’être condamnée par Israël à trois ans d’assignation à résidence à cause d’un poème.
Je suis la première femme à présider le Pen Club International depuis sa création en 1921, et j’en suis très fière.
La tradition, la religion, la culture ont toujours été utilisées contre les femmes et les filles pour nier leur existence. Aujourd’hui, Internet et les nouvelles technologies sont de nouveaux moyens de les réduire au silence. Kamila Shamsie, l’une des conseillères du Pen Club, a découvert que la plupart des romans écrits par des auteures qui ont reçu un prix ont des héros masculins. Caroline Criado Perez, une autre conseillère, s’est battue pour qu’une femme figure sur un billet de banque britannique et a été menacée quand Jane Austen a été choisie.
Je voulais être sûre que les auteures aient un rôle important dans le Pen Club. Leurs livres reçoivent moins de prix littéraires, sont moins l’objet de critiques. L’étude Vida, qui recense à la fois les critiques et les auteurs, montre qu’en littérature nous sommes loin de la parité. Les femmes représentent 26,9% des livres critiqués pour la London Review of Books, 39,7% dans le New Yorker, 35,9% pour le Times Literary Supplement, et 23,3% pour la New York Revue of Books. Si ça se passe comme ça à New York ou à Londres, comment est-ce en Bolivie, au Mexique ou en Inde?
Le manifeste revendique la non-violence et l’éducation, prône la reconnaissance des femmes dans tous les médias, et à travers toutes les formes d’expressions littéraires, et la parité afin de s’assurer que les femmes écrivains et journalistes sont employées et rémunérées dans les mêmes conditions que les hommes, sans aucune discrimination. Il a pour vocation d’être distribué dans les 170 centres du Pen Club dans le monde et plus largement encore.
Le Pen Club a étudié en un an 200 cas d’auteurs en danger. Ceux qui demandent le statut de réfugiés sont des hommes. Nos critères sont: est-ce un écrivain? A-t-il publié des livres? A-t-il eu des critiques? A-t-il eu des prix? Or les femmes n’ont souvent rien de tout ça. Dans certains pays, elles n’existent pas en tant qu’écrivains.
Cela dépend des pays. Je vis au Mexique, où l’on surnomme les journalistes "les tombes", parce qu’ils sont en danger de mort. Asli Erdogan n’habite plus en Turquie mais est toujours menacée. Nombre de maisons d’édition ont fermé dans son pays et l’industrie du livre est moribonde. En Chine, le gouvernement contrôle toutes les publications, les éditeurs disparaissent ou sont emprisonnés. Mais le plus dangereux pour moi est l’autocensure car le processus est insidieux.
Pour lutter contre Google et Amazon, il fallait un standard qui puisse être utilisé dans un tribunal. Nous avons donc travaillé avec des avocats sur un manifeste que nous avons voulu universel. Dans le préambule, j’ai d’ailleurs cité Victor Hugo, qui a initié la Convention de Berne, signée en 1886.
A l’heure où les gens pensent que tout doit être gratuit sur Internet, le manifeste indique que l’indépendance et l’autonomie financières sont essentielles pour la liberté d’expression et encouragent la diversité des opinions, ce qui alors contribue à la démocratie. Il faut défendre le droit d’auteur car la notoriété ne nourrit pas un écrivain, ne lui paie pas ses vacances.