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Histoire de l’édition : pour ceux qui ont raté le début

Jean-Yves Mollier - Photo Olivier Dion

Histoire de l’édition : pour ceux qui ont raté le début

Dans Une autre histoire de l’édition française, Jean-Yves Mollier synthétise en un volume cinq siècles de la vie du secteur, de la diffusion de l’invention de Gutenberg à l’irruption du numérique.

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Par Hervé Hugueny
Créé le 25.08.2015 à 20h06 ,
Mis à jour le 28.08.2015 à 11h02

Spécialiste de l’histoire de l’édition française, ainsi qu’en témoigne une abondante bibliographie, Jean-Yves Mollier publie la semaine prochaine une synthèse de son sujet de prédilection à La Fabrique, maison d’édition engagée qui s’intéresse à la pratique de son métier. Eric Hazan, son patron et fondateur, a notamment publié L’édition sans éditeurs, la charge d’André Schiffrin sur la prise de pouvoir des gestionnaires dans les maisons américaines et européennes, ou encore Le livre : que faire ?, une série de propositions aussi révolutionnaires que le manifeste de Lénine auquel le titre fait allusion.

Les défis surmontés

Par rapport aux références déjà publiées (1), Une autre histoire de l’édition française comble une lacune : celle d’un ouvrage rassemblant à prix serré l’évolution du secteur, depuis la diffusion de l’imprimerie en France jusqu’à l’irruption du numérique. Cette synthèse sera assurément utile à la culture des étudiants formés à un métier qu’ils devront adapter ou réinventer au cours de leur carrière, ou à celle de professionnels venus de filières de gestion. Si elle n’a pas d’utilité pratique immédiate, l’histoire peut éventuellement rassurer en faisant apparaître les défis surmontés par les générations précédentes, et les continuités d’une époque à l’autre. Ainsi le livre numérique commence par reproduire le livre papier sous une forme homothétique, comme les premiers volumes imprimés ont imité fidèlement ceux qui étaient jusqu’alors recopiés à la main.

Aujourd’hui maillon central de la chaîne du livre, la fonction de l’éditeur n’a émergé qu’au XVIIIe siècle, s’imposant progressivement face aux imprimeurs et aux libraires. Charles-Joseph Panckoucke est le premier de ces "entrepreneurs modernes" selon Jean-Yves Mollier. Libraire à l’origine, il avait racheté en 1768 les droits de l’Encyclopédie de Diderot afin de la rééditer dans un format réduit (in quarto, voisin du A4) et moins cher, pour relancer le marché après les premières séries en in-folio (proche du A3). Fortune faite après ce premier pari, il entreprendra à son tour une véritable création en éditant à partir de 1782 une Encyclopédie méthodique, achevée par ses descendants cinquante ans plus tard. Il créait "de toutes pièces un marché qui s’ignorait et décidait de susciter une demande qui n’existait pas" : c’est encore la base du métier.

Ernest Flammarion comme Amazon

Constamment réduit au cours du XIXe siècle grâce aux gains de productivité permanents de l’imprimerie, le prix des livres sera au cœur de querelles récurrentes entre libraires et éditeurs, avivées notamment par Ernest Flammarion, qui maniait les rabais comme Amazon brade aujourd’hui les livres numériques dans les marchés où il peut le faire, soulevant les mêmes anathèmes furieux.

Autre phénomène aussi vieux que l’édition elle-même, le piratage, exacerbé actuellement par le numérique, a connu dans la première moitié du XIXe siècle une intensité véritablement industrielle à partir des provinces belges, avec des imprimeurs sûrs de leur impunité qui inondaient la France de volumes contrefaits à bas prix. Ce qui n’a pas empêché l’émergence de grandes figures de l’édition dans la seconde moitié de ce siècle, aussi riches, puissants et enviés que des industriels ou des banquiers, et dont Jean-Yves Mollier brosse quelques portraits frappants.

Entraîné par sa familiarité avec une période dont on trouve encore les traces aujourd’hui (les Relay dans les gares, héritiers du réseau Hachette, l’intégration de la distribution dans les groupes, les origines du Syndicat de la librairie, l’édition scolaire), il expédie plus rapidement l’histoire récente, au risque de perdre son lecteur dans le survol des rachats et concentrations qui ont marqué les trois dernières décennies. Il se désole de l’irruption des fonds d’investissement dans ce Monopoly, et s’inquiète franchement de voir la bande des GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) prendre le pouvoir, au point d’affirmer sans nuance qu’Hachette Livre a capitulé devant Amazon lors de l’accord conclu fin 2014 à propos du prix des livres numériques aux Etats-Unis.

(1) Voir notamment Histoire de l’édition française, 4 volumes, Promodis, 1983-1986 (repris chez Fayard), et L’édition française depuis 1945, éditions du Cercle de la librairie, 1998.

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