18 AOÛT - ROMAN France

Frédéric Chouraki- Photo FRANCK FERVILLE/DENOËL

Les personnages ici croqués par Frédéric Chouraki font tous vaguement quelque chose : souvent diplômés, comme Samuel Eisenberg, à qui son bac + 6 permet tout juste de trouver un job minable de commercial chez Guru Times, une agence de communication française prétendument tournée vers le marché indien émergent. Ce qui est en soi une bonne idée. Mais la boîte est dirigée par Jonas Wolf, un fils à papa suédois aussi incapable que mégalo, malhonnête et de plus obsédé sexuel. A la fin de son premier mois d'esclavage, face à son chèque de 370 euros, que croit-on que fait Samuel : qu'il casse la gueule de son patron, qu'il démissionne, qu'il s'inscrit au NPA ? Que nenni. Il pleurniche dans le giron de sa meilleure amie Ester - la madone des homos, qui a elle-même des problèmes avec son mari danois, le gros Jarl -, afin qu'elle use de ses relations scandinaves (elle est très copine avec la soeur de Jonas) pour mijoter une vengeance infantile.

Infantile, le mot est lâché. C'est l'un des traits majeurs de caractère, toujours selon Chouraki, de ces trentenaires qu'il dépeint, et qu'il appelle la "ghost generation ». Un peu bobos mais pas friqués, mécontents de l'état du monde et en particulier du néocapitalisme ultralibéral en vigueur un peu partout, mais incapables de se révolter ou de vivre autrement, et toujours plus ou moins assistés : par leurs proches, et bien sûr par leurs parents même s'ils ne le peuvent guère. Ainsi Arsène, le petit ami >de Samuel, qui a raté sa carrière dans les médias, passe son temps à geindre et à traîner dans les bistros du Marais. Lorsqu'il subit un contrôle fiscal, particulièrement musclé il faut le dire, et totalement injustifié, il retourne chez sa mère, au fin fond de sa Creuse natale ! Lorsqu'ils ont un peu plus de personnalité, ces gens sont cinglés, comme le Canadien Freddy Costume, plus ou moins amoureux de Samuel, un allumé mystique qui le supplie de lui faire découvrir le judaïsme et devient, à partir de là, plus "feuj que feuj » ! Même Samuel, pourtant croyant et issu d'une pieuse famille ashkénaze, craque.

Tout cela est drôle, raconté avec une verve féroce, et fort bien écrit. Le manège des personnages et des coïncidences est subtilement construit. Mais, une fois lu, le roman nous laisse un goût amer, une impression de malaise. Peut-être, déjà, parce que chaque chapitre porte le titre d'un film d'Ingmar Bergman, lequel n'est pas le cinéaste le plus drôle du septième art. Mais surtout parce que cette "génération fantôme" est censée bientôt succéder aux sexa- et quinquagénaires actuellement aux manettes, anciens soixante-huitards recyclés dans le business ou managers de la droite dure pour qui la conscience de classe signifie toujours pouvoir, argent, privilèges, etc. Que seront, dans dix ans, nos mollasons devenus ? On doute fort, en tout cas, que ce soient ceux-là, les désabusés de Chouraki, qui puissent un jour "changer la vie".

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