Sous la plume de Geneviève Brisac, des voix de femmes surgissent, les voix d'inconnues auxquelles elle prête son nom, sa renommée et un mantra : dire la vérité, toute la vérité, coûte que coûte. En 1994, ses lecteurs rencontraient Nouk dans Petite, jeune fille anorexique, internée dans une clinique dont le personnel s'employait à la briser. Nouk a grandi. Tête bien faite, elle intègre l'« École Normale Supérieure des filles-qui-n'ont-pas-fait-de-grec », des « filles en robe de chambre en laine » qui, à son arrivée à Fontenay, lui paraissent plus mortes que vivantes et lui enjoignent de fuir au volant de sa 4L dorée pour regagner le Quartier latin. Nouk devient militante, défend le peuple chilien et rédige des tracts martelant « notre corps nous appartient ». « C'est le temps des réunions de femmes. Le temps de la lutte contre le viol. Viol de nuit, terre des hommes. » Son rêve ? Être normale après avoir grandi en privilégiée - « trop bourgeoise », « trop chichi », disent-ils. « Ma cuiller dorée dépasse de ma bouche. » Alors Nouk endure ce que toutes les femmes autour d'elle semblent endurer : la marche de l'entreprise, les humiliations ordinaires, la loi du plus fort et celle des patrons en particulier.
Confiance
Nouk travaille dans l'édition, recrutée par Olaf dont elle rejoint le « harem », rivale d'un bataillon de secrétaires « amoureuses de leur coq unique ». Puis viendra Werther, qui la toise « du fond de son fauteuil-terrarium de saurien » et méprise ouvertement la maternité devant Nouk, qui attend son deuxième enfant. « La grossesse est une faute professionnelle, tout le monde le sait. » Hypnotisée par l'assurance de ces hommes, Nouk s'abandonne comme tant d'autres dans leurs bras, piquée par le regard qu'ils portent sur elle : « Tes bébés t'occupent autant que mes maîtresses » lui dit un jour Werther, dont l'empire extraconjugal s'étend jusqu'au Japon. Est-ce cela, la normalité ? Est-ce ainsi que marche le monde ? « La vie de Nouk à sa grande surprise est désormais une vie d'employée de maison d'édition comme les autres, routinière et prévisible. Employée avec enfants. Elle n'avait pas imaginé cela, mais elle s'y est habituée très vite. » Par chance, il reste les livres et les mots de Marguerite Duras, qu'elle se récite à la cantine, devant sa salade d'endives : « On part avec une méfiance de soi, avec une culpabilité, on part avec de petits bagages de quatre sous, on ne part pas dans la liberté. Il faut se faire confiance. »
Parce qu'ils n'empruntent aucun détour et refusent d'édulcorer, les livres de Geneviève Brisac touchent au plus intime, à l'endroit où les fausses excuses et les petites lâchetés germent en silence et, grandissant, étouffent nos aspirations, nous font parfois passer à côté de nos vies. En puisant dans un matériau autobiographique, ils nous aident à démasquer ces Enchanteurs donnant son titre au roman, à se débarbouiller de la poudre qu'ils nous jettent aux yeux, avec l'humour et la sincérité caractérisant le travail de leur créatrice. Une lecture essentielle à tout âge, par temps calme ou de tempête.
Les enchanteurs
Éditions de l’Olivier
Tirage: 8 000 ex.
Prix: 17 € ; 192 p.
ISBN: 9782823618754