Ils furent rivaux jusqu’à la mort. Les courriers incendiaires qu’ils s’échangeaient s’achevaient ainsi : "ma meilleure amitié quand même". Fondateurs de leurs maisons respectives au début du XXe siècle, Gaston Gallimard et Bernard Grasset n’ont cessé de se livrer une guerre impitoyable pendant quarante ans. Jérôme Dupuis revient sur cette lutte acharnée entre les deux hommes pour un numéro de "Duels" savoureux, diffusé sur France 5 le 19 mars à 21 h 30.
Tout sépare le fondateur de la NRF, héritier de la bonne bourgeoisie parisienne, de l’orphelin de la petite bourgeoisie provinciale qui a su éditer Marcel Proust à compte d’auteur : "Pour la postérité, Gallimard est celui qui a raté Proust, Grasset celui qui l’a laissé filé", explique en introduction l’auteur du documentaire, dans lequel interviennent tour à tour Alban Cerisier, secrétaire général de Gallimard, l’historien Jean-Yves Mollier, leurs biographes Pierre Assouline et Jean Bothorel, et Claire Paulhan. Opérations séduction contre gros chèques pour débaucher les écrivains, guerre des prix littéraires (neuf Goncourt pour Grasset contre deux pour Gallimard), "espionnage" d’un côté, "faux tirages" et "double comptabilité" de l’autre…
De toute évidence tout était bon, mais les méthodes et les caractères étaient très différents, entre un mondain traditionnel et un "marchand de soupe" maniaco-dépressif qui n’ont pas eu la même stratégie pendant l’Occupation.
L’issue sera fatale pour Bernard Grasset. Même lâché par ses grands auteurs, il ne s’avouera jamais vaincu mais meurt ruiné en 1955 après avoir vendu sa maison à Hachette, à deux pas du bureau de Gaston Gallimard qui lui fait cette épitaphe : "Je l’aimais pour ses défauts mêmes, car ils venaient de sa passion. Sa concurrence était stimulante. Ce fut le plus grand éditeur après Alfred Vallette."
Marie-Christine Imbault