L'impact de la crise dans la zone euro sur les échanges de droits était la grande inconnue de la Foire internationale du livre de Francfort qui s'est tenue du 10 au 14 octobre. Avant son ouverture, les signaux étaient inquiétants, avec une surface de stands réservés inférieure à l'an passé et une dizaine de pays qui avaient déclaré forfait pour cette 64e édition. "Plusieurs de nos interlocuteurs ont renoncé à venir, témoigne Willy Fadeur, directeur des droits de Casterman. Il y a eu beaucoup d'annulations dans la semaine qui a précédé la foire." Avec des ventes de livres papier et numériques en Europe qui reculent à un an d'intervalle de 4,4 % sur les neuf premiers mois de l'année, selon GFK, le secteur du livre souffre directement des turbulences économiques que traverse l'Union. Willy Fadeur est assez alarmiste. "En Grèce, plus rien ne se passe. Le Portugal se porte mal, et il nous est difficile de demander des avances à des éditeurs qui ne sont eux-mêmes pas payés par les libraires avant 200 jours ! L'Espagne ne va guère mieux. L'Italie bat de l'aile. En Hongrie, on me propose des tirages à 600 exemplaires", explique-t-il.
"C'est une foire de crise", confirme Rebecca Byers chez Plon-Perrin, comme Hedwige Pasquet, DG de Gallimard Jeunesse, qui note : "Le secteur jeunesse reste porteur même si j'ai le sentiment qu'il y a chez tout le monde beaucoup de points d'interrogation, surtout dans certains pays comme l'Espagne, qui en est quand même à sa quatrième année de crise." En effet, l'Espagne a vu au cours de ces cinq dernières années le chiffre d'affaires du secteur éditorial baisser de 11,2 %. "Il n'y a plus de petits éditeurs, on sent que c'est une période difficile", remarque Sophie Bancquart au Pommier.
Cependant, les échanges à Francfort se poursuivent portés par un élan de survie. "Si les Grecs n'achètent plus rien, on continue à vendre en Espagne, mais plus modérément qu'auparavant", déclare Jean Pacciuli, le DG de Glénat, qui s'est séparé en début d'année de Glénat España, vendu à son responsable, Joan Navarro. De fait, "les éditeurs sont souvent intéressés, mais pour des petits tirages, qu'ils reportent volontiers à 2014", témoigne Frédéric Lavabre, P-DG de Sarbacane.
LES GRECS SE BATTENT
Dans le hall 5.1 qui abrite les éditeurs espagnols, portugais, italiens ou grecs, les travées sont plutôt calmes. Les Grecs ont réduit de moitié leur stand collectif et il n'y a plus de stand individuel. Alors que leur production baisse d'un quart, les éditeurs sont toutefois plus nombreux : 21 d'entre eux ont fait le déplacement. "Ils sont tous très pugnaces, car ils n'ont pas d'autre choix que de se battre", assure Catherine Vélissaris, la directrice du Centre national du livre, qui a dû se séparer de près de la moitié de son effectif cette année. Mêmes difficultés au Portugal où le marché a baissé de près de 4 % en 2011, et devrait chuter de 12 % cette année, selon Miguel Freitas da Costa, secrétaire général de l'Association des éditeurs et des libraires. Quant à l'Italie, elle affronte un marché en déclin de 8,7 % depuis le début de l'année. Du coup, les éditeurs italiens publient moins (- 10 %), ce qui se ressent sur les achats de droits. Si les grands groupes comme Atlantica, éditeur de Geronimo Stilton, et les petites structures s'en sortent, le problème se pose pour les éditeurs de taille moyenne qui recherchent des best-sellers mais ne peuvent pas toujours suivre les enchères. Jean Pacciuli confirme que "les ventes résistent en Italie, mais avec des à-valoir plus faibles".
"L'impact de la crise européenne a été moins fort que prévu", se rassure Juergen Boos, le directeur de la foire, qui a enregistré une baisse limitée du nombre de visiteurs professionnels (- 1,6 %). Si la tentation de la prudence et du repli est forte en période de tumultes économiques, pour préparer l'avenir, il faut continuer à se tenir au courant des évolutions du métier - le nombre de participants au cycle de conférences de Francfort a encore battu des records cette année - et acheter des droits. "Nous travaillons sur le long terme. Il faut continuer à traduire des livres pour dépasser cette crise", affirme l'Allemand Peter Kraus vom Cleff chez Rowohlt, qui vient de signer avec Gallimard pour la réédition des oeuvres d'Albert Camus en papier et en numérique. D'autant que la publication de la traduction d'un livre qui a déjà fait ses preuves à l'étranger est moins risquée que d'installer un nouvel auteur maison.
Sur le stand collectif français, nombreux sont les responsables de droits à avoir rencontré des éditeurs à la recherche d'un livre dans le style de La liste de mes envies de Grégoire Delacourt (Lattès) ou un roman de femmes comme ceux de Françoise Bourdin. Chez Zulma, Laure Leroy, qui vend notamment les droits de L'embellie d'Audur Ava Olafsdottir, constate qu'ils "se vendent partout dans le sud de l'Europe. C'est finalement les pays scandinaves les plus stressés, qui n'achètent plus rien et annulent même des contrats ». Les Espagnols restent ainsi très présents dans les échanges et Alfaguara aurait déboursé 100 000 euros pour acquérir les droits de La vérité sur l'affaire Harry Quebert (Bernard de Fallois-L'Age d'homme) qui a suscité la convoitise de nombreux éditeurs étrangers. Mais en dehors des épiphénomènes que constituent les enchères, la conséquence directe de la crise économique est une érosion continuelle des tirages et, par voie de conséquence, du montant des contrats. "Ils ne sont plus ce qu'ils étaient, même dans les pays scandinaves !" constate Willy Fadeur. Sophie Castille, directrice des droits du pôle image de Média-Participations, explique qu'elle vend "de plus en plus de droits, mais ce sont de petits contrats et les tirages n'arrêtent pas de baisser, y compris dans des pays comme l'Allemagne où nous avons des best-sellers". Plusieurs professionnels confirment que les Allemands, réputés généreux en termes d'à-valoir, sont devenus timides. Plus généralement, pour un roman au potentiel intermédiaire, la barre psychologique des 5 000 euros est de plus en plus rarement franchie. Une responsable de droits s'est même vu proposer un contrat pour 250 euros !
LE JAPON DEMANDEUR
Pourtant certains pays, à l'image de la Turquie, très présente, ou du Brésil qui sera l'invité de la prochaine foire, font le pari de l'achat de droits pour développer leur marché. Le Japon aussi, qui a connu une grosse crise, s'ouvre pour relancer son économie. "Vu la difficulté de leur marché intérieur, les Japonais s'ouvrent enfin au monde et sont très demandeurs de droits", >explique François Pernot, le P-DG de Dargaud, qui a cédé les droits de Djinn de Jean Dufaux. Un renouveau japonais constaté aussi chez Casterman avec une demande pour la BD classique (Schuiten, Bilal ou Sokal). De quoi assurer à Francfort encore de beaux jours.
Aurélie Filippetti indisponible
Très attendue par les éditeurs français, la ministre de la Culture et de la Communication a raté son premier rendez-vous avec la Foire de Francfort. Elle a dû annuler au dernier moment son voyage, pour cause de discussion parlementaire du budget. Sa délégation, composée notamment de Véronique Chatenay-Dolto, conseillère pour le livre, et d'Alexandre Tiphagne, accompagnés par Laurence Franceschini et Nicolas Georges de la Direction des médias et des industries culturelles, ainsi que de Xavier Darcos, de l'Institut français, et de Maurice Gourdault-Montagne, ambassadeur de France à Berlin, a visité les stands français et a participé au déjeuner offert par le SNE.
Au cours de ce déjeuner, Véronique Chatenay-Dolto a notamment rappelé l'attachement de la ministre au dispositif de gestion des livres indisponibles. Le décret d'application de la loi est prêt, et la BNF travaille à la constitution de la base de données, a-t-elle annoncé en précisant qu'une rencontre avec Louis Gallois, commissaire général à l'investissement, était prévue le mardi 16 octobre.
Forum Livres Hebdo : la librairie en ligne chouchoute le consommateur
Si le modèle de développement du marché numérique est en perpétuelle transformation, une chose demeure immuable selon Michael Serbinis, P-DG de Kobo : "le consommateur gagne à la fin". Il était l'invité aux côtés de quatre autres grands acteurs du numérique - la Fnac, Google, Barnes & Noble et Indiaplaza - d'un débat organisé à Francfort autour du Classement Livres Hebdo de l'édition mondiale qui a réuni plus de 150 participants (photo) à l'invitation de Livres Hebdo, Publishers Weekly, Buchreport, The Bookseller et PublishNews Brazil. Tous ont fait preuve d'une connaissance très concrète du marché et d'un souci permanent de s'adapter à la demande du consommateur.
Santiago de la Mora, le directeur des partenariats pour les contenus imprimés chez Google, développe une "approche plus consommateurs que technologique. C'est la facilité d'accès pour le lecteur qui prime". En matière de modèle économique, Kobo, tout comme la Fnac, son partenaire en France, prône une "approche écosystémique". Il est important pour une librairie de capter les lecteurs d'ebooks car, explique Elodie Perthuisot, directrice du livre à la Fnac, "les consommateurs d'ebooks sont de gros lecteurs, et ceux qui commencent à lire des ebooks lisent en général beaucoup plus qu'avant. C'est important de les garder comme client".
Chez Barnes & Noble, lorsque l'on pénètre dans une librairie de la chaîne avec sa tablette Nook, on peut feuilleter gratuitement des livres numériques. "Nous voulons faire converger les deux marchés", précise Jamie Iannone, président de Barnes & Noble Digital Products.
Si le prix de vente de l'ebook est en baisse constante depuis la naissance de ce marché, tous les intervenants s'accordent à dire qu'à un moment surviendra un palier nécessaire pour ne pas dévaloriser le produit. "Plus l'ebook sera différent du livre papier, moins la question du prix bas se posera", conclut Elodie Perthuisot.
Cependant, l'Indien Venkat Valliappan, directeur du livre chez Indiaplaza, prône un prix des ebooks étrangers plus bas en Inde, en adéquation avec le pouvoir d'achat local, compensé par des volumes de vente potentiellement énormes.