Sous la verrière rénovée du Grand Palais, la ministre de la Culture a déroulé un discours volontariste lors de la cérémonie d'inauguration du festival du livre de Paris, multipliant les annonces autour de la lecture jeunesse, des bibliothèques, de l’accessibilité numérique et de la rémunération des auteurs. Pourtant, du point de vue économique, ces mesures peinent à dépasser le stade des signaux symboliques.
Une politique de lecture publique
Le plan dévoilé s’inscrit résolument dans une logique de démocratisation culturelle. Création d’un Prix du livre pour les bébés, carte de bibliothèque remise à la naissance, extension du programme « Lecture Loisirs » : autant d’initiatives centrées sur la sensibilisation.
La logique est claire : renforcer les usages dès l’enfance pour recréer un lectorat sur le temps long. Une approche éducative qui reste étrangère selon de nombreux professionnels présents aux problématiques immédiates de l’industrie du livre : inflation des coûts de production, concurrence numérique, marges réduites, érosion des ventes en librairie.
Une régulation sans leviers d’investissement
Rachida Dati a rappelé l’importance de la loi encadrant les frais de port des livres, dans une volonté d’équilibrer la concurrence entre géants du e-commerce et librairies indépendantes. Mais le dispositif existe déjà et son efficacité reste sujette à débat car les librairies doivent continuer à composer avec des marges compressées, des loyers en hausse et une clientèle volatile en l’absence de mesures d’accompagnement financier, et alors que les contrats départementaux de lecture, appelés à être généralisés d’ici 2027 ont un impact économique direct marginal pour les acteurs de la filière.
Rémunération des auteurs : une loi en discussion
La ministre a salué la proposition de loi en discussion au Sénat sur la rémunération des auteurs. Le signal politique est apprécié, mais les montants et le calendrier n’ont cependant pas été précisés, les auteurs espérant toujours une réforme systémique de leur statut fiscal et social.
Alors que côté éditeurs, l’essor du marché de l’occasion est identifié comme une menace. « La ministre n'a pas annoncé de mesure concrète, les pistes juridiques évoquées restant à l’état de réflexion », note José Carlin Pérez, directeur éditorial des éditions En exergue.
Rachida Dati échange avec le président du SNE Vincent Montagne, sous le regard de Pierre-Yves Bérenguer, directeur du festival du livre de Paris- Photo OLIVIER DIONPour télécharger ce document, vous devez d'abord acheter l'article correspondant.
Accessibilité numérique : un virage technique
L’unique annonce contraignante concerne l’accessibilité native des livres numériques, obligatoire à partir de juin 2025. Cette mesure, saluée sur le plan sociétal, impose aux éditeurs une adaptation technique complexe. Aucune aide à la transition n’a été annoncée pour les PME de l’édition et pour les diffuseurs qui devront revoir leurs chaînes de production.
Cette injonction réglementaire, sans contrepartie budgétaire, pourrait bien alourdir les charges des maisons d’édition sans retour immédiat sur investissement, redoutent les éditeurs. D’autant que le lectorat concerné reste minoritaire, malgré les efforts d’inclusion.
Une politique culturelle tournée vers l’éducation
En définitive, le discours de Rachida Dati dresse les contours d’une politique culturelle de proximité, tournée vers l’éducation et la symbolique républicaine de la lecture. Mais plusieurs éditeurs interrogés par Livres Hebdo soulignent qu'aucune dynamique économique globale n’en ressort. Énumérant pêle-mêle l'absence de stratégie pour le numérique, de soutien ciblé à l’export, d’outils pour accompagner l’innovation éditoriale, ou d’enveloppe budgétaire exceptionnelle.
Le SNE alerte sur les fragilités économiques du livre
Lors de son discours d’ouverture du festival du livre de Paris, Vincent Montagne, président du Syndicat national de l’édition (SNE), a rappelé avec fermeté les menaces qui pèsent sur l’économie du livre. Si la loi de 1981 sur le prix unique constitue toujours, selon lui, un « socle vital » pour la filière, il a dénoncé les attaques répétées — souvent insidieuses — dont elle fait l’objet, notamment de la part des géants du numérique.
Vincent Montagne a aussi pointé un phénomène en forte progression : le développement du marché du livre d’occasion, qui prive les auteurs et éditeurs d’une juste rémunération. Il a réitéré la demande d’un mécanisme équitable, promis par le président de la République l’an dernier, et toujours attendu.
Autre sujet de préoccupation : la prolifération du pillage d’œuvres protégées. Le SNE, aux côtés du SNAC, a engagé une action en justice pour défendre les droits des créateurs face à ce qu’il qualifie de violations massives du droit d’auteur.
Dans un contexte de mutation rapide, Vincent Montagne a exhorté les pouvoirs publics à agir pour préserver un écosystème fragile, où chaque acteur — auteur, éditeur, libraire — joue un rôle essentiel dans la chaîne de la création et de la diffusion.
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