D'études d'architecture menées avant que des cours d'animation ne le conduisent à dessiner des Mickeys pour Disney, Lorenzo Chiavini a gardé une science certaine de la construction. Né en 1968 à Milan, le coauteur de Pénélope & Marguerite (Les Enfants rouges, 2009), d'après La douleur de Marguerite Duras, articule dans Furioso deux trajectoires parallèles et néanmoins convergentes. L'album conçu à la faveur d'une résidence à la Maison des auteurs d'Angoulême est à la fois réaliste et métaphysique.
Il s'agit d'une histoire des croisades, saisies alors que les protagonistes sont à bout de souffle. De l'élan des origines ne subsistent chez les croisés que quelques ambitions personnelles résiduelles. La foi n'est plus qu'un instrument au service de motivations et d'objectifs dont la substance s'est évaporée comme celle du pape moribond censé les inspirer. De même, les sarrasins ont surtout l'espoir d'en finir. A la lassitude des uns répond celle des autres, entraînant les deux camps dans un combat essentiellement symbolique, dont le découpage minutieux et les couleurs de Lorenzo Chiavini rendent à merveille la dimension crépusculaire.
Côté chrétien, tous les espoirs sont placés dans une relique : la lance avec laquelle un soldat romain aurait percé le thorax du Christ crucifié. Lâchée par mégarde, celle-ci blesse un jeune vagabond aussitôt propulsé héraut de l'armée croisée alors qu'il n'en peut mais. Pour affronter ce champion supposé invincible, les musulmans tentent, eux, de réveiller les instincts de leur meilleur guerrier, qui a basculé dans une folie mystique. Autour de ces hommes peu pressés d'enfiler des habits trop grands pour eux, des femmes énergiques et passionnées tissent leur propre toile. Lorenzo Chiavini tire des trajectoires singulières de ses deux héros une forme de chant mélancolique et poétique où il est question de la vanité de la religion aussi bien que des ressorts de la passion.
