Alors que le jugement dans l’affaire opposant Régis Jauffret aux héritiers Stern est attendu pour cet automne, Morgan Sportès inaugure la rentrée des fictions inspirées de faits-divers avec Tout, tout de suite (Fayard). Le romancier récidive donc, vingt ans après L’Appât, en s’attaquant à un autre faits-divers, en l’occurrence la terrifiante affaire du Gang des barbares. Les crimes extraordinaires ont souvent inspiré les romanciers, et non des moindres : en témoignent André Gide, Truman Capote, ou encore le succès de L’Adversaire d’Emmanuel Carrère. Mais les tribunaux mettent aisément un frein à un tel exercice littéraire, qui revêt parfois la forme d’une apologie, et d’autres fois celle d’une dénonciation. Les protagonistes des faits-divers, et leurs familles, disposent en effet d’une très grande palette de moyens juridiques pour empêcher aussi bien les simples comptes-rendus de leurs péripéties que les fictions. C’est surtout l’article article 9-1 du Code civil, issu de deux lois de 1993, qui permet d’agir très largement, puisqu’il concerne les atteintes portées à la présomption d’innocence. Le secret de l’instruction, visé à l’article 11 du Code de procédure pénale, reste un instrument de censure très efficace. Ces deux textes ont, par exemple, servi de fondement à l’action en justice qui a visé Moloch , une «Série noire» de Thierry Jonquet, et qui a finalement été repoussée, en février 2000, par le Tribunal de grande instance de Paris. Quant aux proches du présumé innocent, ils peuvent avoir recours au respect de la vie privée, prévu à l’article 9 du Code civil. C’est l’argument qui avait été utilisé par la famille de l’épouse du Docteur Godard, ayant fait interdire, en référé, par un juge de Caen, la publication dans Le Figaro littéraire d’un feuilleton de Françoise Chandernagor. Le commentaire même des procès criminels est un exercice à risque. L’article 30 de la célèbre loi du 29 juillet 1881 protège expressément les cours et tribunaux de toute diffamation. L'article 434-24 du Nouveau Code pénal fustige les outrages aux magistrats, aux jurés et aux témoins. L’article 434-25 du même code sanctionne le discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle. Quant à l’article 434-16 du Nouveau Code pénal, il vise les pressions exercées sur les jurés et sur les témoins, par un moyen public, avant la décision juridictionnelle… De même, beaucoup d’informations de nature judiciaire sont interdites de publication. C’est ainsi que l’article 38 de la loi de 1881 interdit de divulguer les actes d’accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle, avant qu’ils aient été lus en audience publique. L’article 39 prohibe le compte-rendu des délibérations intérieures des jurys, des cours et tribunaux. Bref, la paraphrase est de rigueur. Ce même article 39 de la loi de 1881 interdit encore, en théorie, de rendre compte de certains litiges, tout comme de publier les pièces de procédures particulières : il s’agit notamment là des contentieux concernant la diffamation, des divorces ou des actions en filiation. Seul le dispositif (c'est-à-dire la sentence finale) de ces décisions peut être librement publié. Quant aux motivations de ces décisions de justice, une exception subsiste au profit des seules publications techniques, qui doivent cependant respecter l’anonymat des parties. L’évocation d’un viol ou d’un attentat à la pudeur ne doit comporter ni le nom de la victime ni des renseignements pouvant permettre son identification. De même, la très grande majorité des affaires judiciaires auxquelles des mineurs sont mêlés ne peuvent être, sauf exception, l’occasion de dévoiler leur identité et leur personnalité. L’article 2 d’une loi de 1931 empêche encore toute publication d'une information sur les constitutions de partie civile, avant que n’intervienne la décision de justice attendue. Bref, les juges ont grand loisir de refroidir la fascination des romanciers pour les faits-divers.