A Buenos Aires, en 1894, le jeune Sigmundo Salvatrio - que le lecteur de Pablo de Santis avait déjà vu œuvrer à Paris dans Le cercle des douze (1) sous la houlette du grand détective Craig - a repris l’agence de son mentor défunt, avec la bénédiction de sa veuve, dont les charmes capiteux ne le laissent pas insensible. Eh bien, pour sa première enquête, le béjaune va être gâté.
Juste après que le poète Jeronimo Segui lui a demandé de retrouver son ami Isidoro Ranier, un antiquaire un peu escroc disparu tout à coup, on retrouve le corps du malheureux, frappé à la tête avant d’être noyé, ligoté à une statue d’éphèbe nu. A coup sûr, il s’agit d’un meurtre, et l’assassin a soigné sa mise en scène, hautement symbolique. Tandis que Sigmundo patauge, l’hécatombe continue : Segui lui-même, le neurologue Rank, le chasseur Clemm sont à leur tour assassinés, avec chaque fois une référence à un personnage mythologique : Prométhée, Polyphème, Actéon… Le tueur connaît ses classiques et poursuit à l’évidence un but précis, une vengeance impitoyable.
Sigmundo, en liaison avec l’inspecteur Janzen et le médecin légiste Reverter, essaie de trouver un lien entre les victimes, bourgeois de la bonne société portègne. Et découvre qu’ils ont tous appartenu à un club philosophique plus ou moins occulte, l’académie Sub Rosa, dont les discussions portaient essentiellement sur la place des jardins dans la culture, et si le jardin mental idéal était l’Eden, resté à l’état naturel, ou l’Atlantide, ordonnée par l’homme. L’académie a eu une existence éphémère : un soir de réunion, Irene, la fille chérie d’un autre des membres, Dux Olaya, gros producteur de sel aux affaires périclitant, a été retrouvée violée. Depuis, traumatisée, elle ne parle plus. Les crimes ont-ils un rapport avec ce viol ? Le coupable était-il un des académiciens ? Lequel ? Et alors, pourquoi les éliminer tous ? Voilà quelques-unes des énigmes que va devoir résoudre Sigmundo, sans parler des suicides qui se multiplient à l’Hôtel Royal, tandis qu’un certain Juan Troy, un autre des élèves de Craig, lui met des bâtons dans les roues, et qu’il tente de séduire Greta, la comédienne au cœur de pierre…
Dans ce polar topiaire savamment embrouillé, Pablo de Santis démontre à nouveau toute sa virtuosité. Il multiplie les intrigues à tiroirs, les personnages adventices qui nous mènent sur des fausses pistes, les références littéraires, avec un sens rare de la mise en scène et du suspense, et toujours un soupçon d’humour. Quant à la solution de l’énigme, elle est tout simplement stupéfiante.
Jean-Claude Perrier
(1) Qui reparaît chez Métailié dans la collection "Suites" le 13 mars, tout comme La traduction, le premier livre de Pablo de Santis paru en France, en 2000.