Je m’appelle Martin et j’ai 9 ans", "moi c’est Alexandre, 14 ans", "Naossa, 13 ans". Mercredi 22 juin, alors qu’une chaleur étouffante s’est abattue sur Paris, une dizaine d’enfants et d’adolescents ont trouvé refuge au 161, rue Saint-Martin (3e), dans la fraîcheur d’une annexe de la Maison de la poésie. Pour l’avant-dernier atelier d’"écriture spontanée" du Labo des histoires avant la coupure de l’été, auquel a été convié Livres Hebdo, ils acceptent de faire les présentations avant de déterminer le sujet du jour. Eugénie Rambaud et Hélène Pavie, les animatrices de l’atelier, n’ont pas besoin de briser la glace : les idées fusent, les plaisanteries aussi. "Vous voulez qu’on mette une pioche ?" demande la première. "D’accord, mais on n’écrit pas n’importe quoi. La dernière fois, j’ai tiré "yaourt à la fraise" !" râle doucement Mélissa, petite blonde discrète parmi les plus jeunes de l’assemblée. Autour de la grande table recouverte de feuilles blanches, les crayons s’agitent pendant vingt minutes, avant le moment de la restitution. En quelques instants, un héros schizophrène, un "temple du Glork" ou une relecture du conte de Cendrillon ont jailli de leurs esprits fertiles. Ceux qui ont été inspirés lisent leur texte à voix haute, d’autres préfèrent laisser faire leur voisin. "Personne n’est obligé d’écrire, ou de dévoiler sa production s’il n’en a pas envie", souffle Marine Noé, la directrice du Labo des histoires Paris.
Porte d’entrée vers l’écriture
L’année de sa création, en 2011, la première antenne de l’association hébergée à l’époque par le Motif a accueilli une centaine de laborantins âgés de 9 à 25 ans. L’an dernier, ils ont été 4 123 à bénéficier des ateliers à la carte, des "cycles longs" dédiés à un genre, des stages et des master class avec un auteur reconnu. Et les jeunes Parisiens ne sont pas les seuls à profiter de cette "porte d’entrée vers l’écriture", ainsi que le définit Marine Noé.
Généreux mécènes
D’ici à 2017, 50 000 personnes seront passées par les différents centres et ateliers hors les murs organisés à l’école, à l’hôpital ou dans des structures culturelles, et répartis sur tout le territoire. C’est qu’en l’espace de cinq ans le Labo des histoires a opéré sa mue, et la petite association s’est transformée en grosse machine, avec mécènes généreux (collectivités territoriales, CNL, fondation Total, fondation SNCF, etc.) et service de communication performant. "Lorsque j’ai eu l’idée, avec un groupe d’amis, de créer ces ateliers pour transmettre aux jeunes le plaisir de l’écriture, je n’aurais jamais imaginé qu’ils essaimeraient partout en France", se souvient l’éditeur Philippe Robinet, président du Labo des histoires, qui reçoit même des demandes d’ouverture sur le continent africain. Conquis notamment par le writing center de l’auteur américain Dave Eggers, le 826 Valencia à San Francisco, ou par le Ministry of Stories de Nick Hornby, son équivalent à Londres, le P-DG des éditions Kero et directeur général de Calmann-Lévy a souhaité adapter ce modèle à l’Hexagone, en respectant plusieurs engagements : la gratuité systématique pour tous les laborantins et le défraiement des animateurs spécialement formés. "Notre proposition a rapidement rencontré l’adhésion des jeunes, des intellectuels et des professionnels de l’écrit, qu’ils soient auteurs, rédacteurs, paroliers, scénaristes, et du tissu associatif local", raconte Philippe Robinet.
Le Labo des histoires attire également l’attention d’un protecteur de poids, puisque François Hollande décide, en juin 2014, d’en faire l’un des lauréats du nouveau label La France s’engage, finançant des projets innovants et déclinables à grande échelle. Cette "reconnaissance présidentielle" a été un tournant pour l’association, que le fondateur décrit comme "une formidable opportunité et une grande responsabilité, dès lors qu’il s’agit d’argent public".
Le développement à grande vitesse du Labo, qui a obtenu dès 2013 la certification internationale "826 national" et participe chaque année à une rencontre avec 12 structures homologues dans 12 pays, s’accompagne d’un programme de lutte contre l’illettrisme, spécifiquement français. Et si Martin, Naossa et les autres participants à l’atelier d’écriture spontanée de Paris sont majoritairement de grands lecteurs, c’est l’une des particularités du Labo des histoires que d’aller vers des publics éloignés de l’écrit. Depuis plus d’un an, l’antenne de Paris intervient dans le cadre du Booster Cerfal, un programme d’accompagnement de jeunes décrocheurs scolaires vers des apprentissages. Le 18 avril, deux animateurs du Labo des histoires Martinique ont coordonné un atelier au Centre pénitentiaire de Ducos, faisant découvrir aux détenus le texte "J’aime, je n’aime pas" de Roland Barthes. L’antenne, ouverte en mars 2015, est installée au sein de la bibliothèque Schœlcher à Fort-de-France et ce n’est pas un hasard. "Le Labo des histoires intègre naturellement, depuis sa création, les différents métiers de la chaîne du livre. Nous préparons les lecteurs de demain", relève Philippe Robinet.
L’organisme collabore avec tous les éditeurs, qui "facilitent l’accès aux auteurs". Ces derniers sont d’ailleurs nombreux à s’engager, à l’image de Timothée de Fombelle qui estime avoir manqué de ce genre de structure étant enfant. Les stages ou master class sont régulièrement accueillis en librairie ou en bibliothèque, des "lieux porteurs de valeurs en cohérence avec ce qu’on veut dire sur la primauté de l’écriture", justifie Philippe Robinet, et les festivals du livre et salons, avec le public qu’ils brassent, se présentent comme des partenaires privilégiés. Présente au dernier salon Livre Paris dans un "pop-up bus" mis à disposition par la RATP, l’association sera également représentée au Livre sur la place à Nancy, en septembre. Un moyen de recruter de nouveaux laborantins pour, peut-être, faire naître des vocations. Inscrit depuis trois ans à l’atelier d’écriture spontanée du Labo des histoires parisien, Alexandre, 14 ans, compte bien continuer jusqu’à ses 25 ans, et adorerait "y revenir en tant qu’auteur, après avoir publié [s]on premier livre". Emma, une passionnée de new romance qui passera en troisième à la rentrée, se verrait bien travailler dans une maison d’édition. "J’ai toujours pensé que les éditeurs étaient des vendeurs de rêves."