Voici un premier album construit principalement avec deux matériaux : le trait et le bleu. Le trait, Charlie Genmor l'a particulièrement souple, fluide, plastique. C'est bien le moins pour retracer tout à la fois les tâtonnements qui accompagnent la découverte de l'amour et l'histoire de son changement de genre. De fille, il est devenu garçon. D'un sexe l'autre, au terme d'un processus lourd de prise de conscience dont le trait mobile du jeune dessinateur retrace la complexité, entre dépression chronique et confusion des sentiments.

En contrepoint, le bleu, ou plutôt les bleus qui baignent les cases de ce récit dense tiennent lieu de liquide amniotique. Car c'est bien d'un accouchement qu'il s'agit. Un accouchement douloureux, avec ses contractions et ses moments de détente. Un accouchement que l'entourage très présent du jeune transgenre ne suffit pas à rendre complètement supportable.

Au début de Tout va bien, rien ne va bien, bien sûr. A 20 ans, Ellie, dont les parents sont divorcés, vit chez son père avec sa sœur trisomique et son frère passionné de handball, mais en décrochage scolaire. Surtout, celle qui préfère appeler ses parents par leur prénom et a traversé à l'adolescence une dépression lourde dont elle n'est pas totalement sortie en dépit d'un confortable stock de médicaments, présente de gros troubles affectifs. Elle ne parvient pas à aimer vraiment, ni n'accepte d'être aimée d'amour. Et en souffre.

Entourée d'amies et d'amis, elle ne manque pourtant pas de sollicitations. Notamment celles d'Archimède, un garçon doux et tendre avec lequel elle juge « cool » d'écouter la musique d'Erik Satie, mais dont elle ne comprend pas bien pourquoi il désire l'embrasser. Avec lui, elle se sent bien, elle passe des soirées, part en vacances en camping. Lui aussi n'est pas simple, mais il est décidément très doux et très tendre, et aussi infiniment patient. Elle aime se lover contre lui, apprécie ses caresses même si elle est secouée par des crises violentes lorsqu'elles deviennent trop insistantes.

De ce parcours accidenté et néanmoins optimiste, Charlie Genmor tire un récit riche et touchant, qui ne laisse rien au hasard. Précis dans la description du quotidien d'Ellie, il fait appel aux souvenirs et aux traumatismes enfantins, aux fantasmes, aux angoisses. Et, en fouillant au fond de lui-même, parvient à faire d'une histoire extra-ordinaire une histoire ordinaire. Et le contraire.