24 mai > Roman Etats-Unis > Richard Ford

"Etre à la fois enfant unique et venu "sur le tard" est un luxe parce que cette situation, quels qu’en soient les avantages et les inconvénients par ailleurs, invite à spéculer par ses propres moyens sur l’époque qui a précédé sa naissance - la longue vie antérieure de ses parents […].Il est archiclair qu’ils avaient ça en eux. Ils voulaient de moi mais n’avaient pas besoin de moi. Ensemble - et au fond peut-être seulement ensemble - ils formaient un organisme à part entière."

Eux, ce sont ses parents. Le père et la mère de Richard Ford. Réunis comme ils l’ont toujours été, cette fois-ci en un admirable tombeau de papier, par leur fils.

Peu de temps après la mort de sa mère en 1981, Richard Ford avait écrit un texte admirable, publié en France sous le titre Ma mère (L’Olivier, 1994), mais qui ne l’avait pas été aux Etats-Unis. C’est ce texte, légèrement "toiletté" (et intégralement retraduit aux bons soins de Josée Kamoun) qui compose en partie cet Entre eux, par lequel l’auteur de Canada (L’Olivier, 2013) ou d’Une saison ardente (L’Olivier, 1991) paye sa dette à ce (ou ceux) qui le fonde. Le livre est construit en deux parties, celle du père d’abord, puis de la mère, qui se recoupent bien sûr, tout en introduisant entre elles de très subtiles harmoniques. Ce serait donc l’histoire d’un homme et d’une femme et de la douceur simple de leurs jours. Ils venaient de l’Arkansas et finirent par choisir comme port d’attache - puisqu’il en faut un dès lors qu’un enfant est à naître - le Mississippi. Lui était un représentant de commerce, parcourant sans trêve et sa vie durant les routes du sud pour placer de l’amidon auprès de ceux qui croyaient en avoir besoin. Une existence vagabonde, solitaire, travailleuse et honnête pour un homme un peu flou, profondément gentil et bien décidé à ne jamais occuper le devant de la scène. Elle, l’accompagne aussi souvent que possible, du moins jusqu’à l’arrivée (tardive, quinze ans après leur mariage) de leur fils Richard. Elle sera épouse et mère, faute d’avoir d’abord été pleinement reconnue, aimée et comprise comme fille. Elle sera veuve aussi, très et trop tôt, et devra dès lors se réinventer en "femme d’affaires" tout en composant avec son chagrin et, plus tard, la maladie.

C’est au plus près d’eux, ces gens sans importance au regard de l’Histoire, dans une sobriété qui serre le cœur, que Richard Ford a composé ce magnifique requiem qu’est Entre eux. Loin bien sûr de tout chantage au pathétique. A tel point qu’il n’est pas interdit de considérer ces quelques pages tenues de bout en bout comme un art poétique. Il s’agit moins en somme de sa première incursion véritable vers la "non-fiction" qu’une illustration par l’exemple de ce que le roman est toujours fils de la vérité. D’une vérité intime, secrète même, et qui ne se nourrit pas nécessairement de spectaculaire. Au fond, Parker Ford et Edna Akin ont eu deux fils : le premier s’appelle Richard, le second Frank Bascombe, personnage fétiche de l’écrivain. Olivier Mony

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