Longtemps, je me suis hâté de bonne heure, l’après-midi du mardi, vers la rue Sébastien-Bottin…" Ainsi commence Le comité, un pamphlet de Michel Deguy paru voici près de trente ans et qui demeure le principal témoignage, à charge, sur le comité de lecture de Gallimard. Culture du secret oblige, les comités de lecture ont échappé à la chronique littéraire. Outre l’ouvrage de Michel Deguy, seul le Journal de Jacques Brenner (Fayard) donne une idée de leur fonctionnement, en l’occurrence celui de Grasset.
Entré chez Grasset à l’automne 1969, pour s’occuper du service des manuscrits, Jacques Brenner constate, dès le 14 janvier 1970, inspiré par l’inimitié du directeur littéraire, Yves Berger, pour Dominique Fernandez, qu’"un comité de lecture est souvent une réunion de gens qui non seulement ont des goûts différents - ce qui est d’ailleurs souhaitable -, mais qui ne s’aiment pas". C’est surtout sur la "cuisine des prix", dont Brenner raffole, qu’il est le plus disert. Le 4 juin 1975, il explique : "Au comité, on établit les premiers plans de bataille pour la rentrée. "Nous avons trois bouquins à pousser", dit Berger. Il ajoute : "Nous avons eu le Renaudot l’an dernier, mais pourquoi ne pas l’avoir deux années de suite ?" Pour que la maison ait ses chances au Renaudot, on publie un roman de Bosquet (qui est du jury) et un autre de Boris Schreiber, qui avait eu de mauvais rapports de lecture mais qui est le protégé de Fouchet (qui est du jury)."
La note la plus désopilante est datée du 6 mars 1979 : "Berger a inventé une drôle de comédie. Comme Pierre-Jean Launay [juré de l’Interallié, NDLR] voudrait faire partie du comité de lecture et que sa présence n’y paraît pas souhaitable, on organise maintenant pour lui un faux comité, une fois par mois, où on le laisse parler des manuscrits qui ont retenu son attention, mais dont on devine qu’ils sont impubliables."
"Chirurgiens amateurs"
Michel Deguy fut, lui, invité à siéger en 1960, à 30 ans, au comité Gallimard, Gaston Gallimard le croyant un jeune auteur prometteur. Mais Deguy s’adonne à une poésie hermétique et à un vocabulaire jugé abscons (dans la maison, on l’appelle "Monsieur Catachrèse") qui lasseront Claude Gallimard, lequel met fin brutalement à ses fonctions en 1986. De dépit, Michel Deguy rédige Le comité, un "portrait de l’auteur en gai ressentiment", refusé par toutes les grandes maisons (qui se délecteront néanmoins du manuscrit) et publié loin de Paris, par les éditions Champ Vallon. Sur Michel Tournier, Deguy se déchaîne : "Je me rappelle le temps où les premiers romans de Michel Michel, présentés par Dominique Aury, étaient discutés en comité ! "Il devrait raccourcir le II, refaire le IV, s’amputer du VII ?" […] Jusqu’au jour où, devenu célèbre (prix Goncourt, puis juré Goncourt), il opposa un non définitif à tous ces chirurgiens amateurs. […] Au comité, il entre, il ne dit bonjour ni au revoir ; il a en main un album de photos de Michel, ou un dossier de presse relatif à Michel. Il questionne modestement son voisinage sur la qualité de ses portraits. […] Après [le comité], il s’attarde avec Claude, Antoine […], le directeur commercial. Il parle des tirages de Michel."