S’il avait du charme, ce fut d’abord celui, forcément discret, de la bourgeoisie. Matthieu Galey (1934-1986) savait d’où il venait, le meilleur monde parisien, et passa sa vie à lire, écrire, voyager pour se faire croire qu’il en partit un jour. Un homme de lettres donc, avec tout ce que cela est supposé drainer. De certitude de soi et de sa place dans le monde, de nos jours encore, comme à l’époque où, des années 1960 jusqu’à sa mort, il exerçait en majesté et dans les pages de L’Express ou de Combat, dans le studio du "Masque et la plume", au comité de lecture des éditions Grasset, son impérieux magistère.
Bref, commentateur plus qu’acteur, Matthieu Galey était de ces êtres à qui la postérité paraît défendue, dont on ne parle jamais, au détour d’un article ou d’un dîner, qu’au présent. Avec ça, fin, cultivé, drôle, mondain, suffisamment malheureux pour n’en pas faire état à tout bout de champ, le parfait compagnon. Sa mort, à l’âge de 52 ans, des suites d’une sorte de sclérose en plaques, le rendit à ses lecteurs comme transfiguré. En cause, la publication en deux tomes de son journal intime, aussi brillant qu’acerbe, malheureusement expurgé, pour l’essentiel, aux bons soins de son éditeur Grasset, de centaines de plus ou moins courts passages, jetant sur quelques contemporains et mandarins de la république des lettres d’alors, et sur leurs pratiques éditoriales, un peu flatteur éclairage. La plupart de ceux qui s’estimèrent alors à plus ou moins bon droit diffamés n’étant plus là pour s’en plaindre, l’heure est aujourd’hui venue de rendre à ce texte, à ce Journal, diamant noir sarcastique sans équivalent pour la littérature française de la deuxième moitié du siècle dernier, toute sa cohérence, son énergie ravageuse. C’est ce que fait Jean-Luc Barré pour la collection "Bouquins" chez Robert Laffont. Il signe de plus une impeccable préface à cette nouvelle édition, qui se clôt par une correspondance amoureuse avec Herbert Lugert, qui fut longtemps l’amant de Matthieu Galey, et jette sur lui une lumière différente, plus secrètement douloureuse peut-être.
Ce qui frappe le plus en lisant et relisant ce journal, c’est, outre la tendresse paradoxale du propos, sa grande liberté de ton, y compris lorsque l’auteur évoque ses rencontres sexuelles de hasard avec des garçons "pêchés" à Paris, Berlin ou Genève, entre autres, sa sincérité autant que sa lucidité. Evoquant la mort d’Huguenin, Galey écrit : "Ai-je le temps, moi, de réfléchir à l’amour, au désir, à la mort, plume en main, dans la douce quiétude de ma chambre ? Est-ce qu’il n’y a pas toujours un article à terminer, un livre abandonné en train, etc. ?" Le lecteur s’épuisait, le critique ne s’aimait pas, l’écrivain s’ignorait. Il faut pourtant l’être, et de la première importance, pour savoir ainsi, plus de trente ans durant, danser et se promener parmi les ombres. Olivier Mony