Je suis en Allemagne à cet instant où j’écris ces lignes. Après une belle tournée qui débuta à Munich, logé au Munchen Palace, me voilà dans un Mercure en banlieue d’une petite ville que personne ne connaît. Mes voyages ressemblent finalement à ma vie : une sorte de désillusion permanente, de gentil déclin. J’ai lu des passages de mon roman En cas de bonheur , et je me suis senti dans l’in-utero de la postérité. Beaucoup de rencontres, beaucoup de visages. A Francfort, le directeur de l’institut français a récemment eu une attaque cérébrale. Il se déplace maintenant avec beaucoup de difficulté. Sa femme brésilienne l’aide du mieux qu’elle peut. C’est un couple d’une rare densité. Ils parlaient de leur futur voyage au Brésil comme la recherche du temps perdu. Le mythe de leur rencontre. J’adore l’Allemagne, c’est un pays qui me coupe en deux de bonheur ; j’adore l’Allemagne, je ne cesse de répéter que l’allemand est la langue la plus érotique qui soit. Mais peut-être que ce que j’ai retenu de ce voyage, c’est le visage fragile de ce couple. J’avais pris mon ordinateur, mais j’ai laissé ma batterie dans la chambre d’hôtel du bonheur à Munich. J’ai donc voyagé avec un portable sans vie, lourd et inutile. Et moi qui voulais écrire et travailler dans les trains allemands. Mon éditeur me l’a envoyée ici, pour le dernier jour de mon séjour. Peut-être que je n’aurais pas lu ce que j’ai lu si j’avais écris (ma vie). Dans le Canard Enchaîné, j’ai repéré cette phrase à propos de la candidature de Nicolas Sarkozy : « cela fait quatre ans qu’il y pense en nous rasant ». J’adore. Et surtout j’ai pris le livre de Mathias Malzieu, « Maintenant qu’il fait tout le temps nuit sur toi ». A vrai dire, je l’ai pris surtout pour des raisons pratiques, il est parfaitement léger. L’auteur est le chanteur du groupe Dyonisos. Je ne connais pas ce groupe ; vous me direz, je ne suis pas une référence. Je n’écoute plus grand chose depuis Stella McCartney. Et ce livre fut une belle révélation, il était comme une bouée de secours contre l’ennui. Ensemble nous avons vécu de beaux moments. Je ne me souviens pas de la sortie de ce livre en édition grand format : a-t-il eu du succès ? Des articles ? Je ne sais pas vraiment : je ne lis la presse littéraire que quand je sors un livre. A part les chroniques de Patrick Besson (parenthèse : je me demande le nombre de personne qui achètent Le Point ou le Figaro Magazine, juste pour sa chronique ; il faudrait quantifier son impact réel, je suis certain qu’il est considérable). Donc, revenons à notre cher Mathias. C’est l’histoire d’un deuil qui est surmonté par la présence insurmontable d’un géant de 4 mètres 50. C’est l’histoire d’un rêve pour quelqu’un qui ne peut plus dormir. Le héros tente de dormir en prenant des «assomnifères ». Voilà un mot qui méritait d’être inventé. Ce livre en fourmille. Le héros veut mener une action « don quichottement » contre les horloges. Le lendemain matin, après le deuil, il y a « de l’anesthésie sur les tartines ». C’est vraiment une écriture inventive : une écriture du matin après une nuit agitée ; ou une écriture du soir après une journée épuisante. A vous de choisir. A mon retour, j’apprends la mort de Claude Jade à 58 ans. C’est un vrai choc. J’aimais Claude Jade, elle représentait un degré supérieur de féminité. Dans mon roman Le potentiel érotique de ma femme , certaines attitudes de l’héroïne sont inspirées de celle que Truffaut surnommait Peggy Sage. Son côté anglais et sa douceur suisse. Il y a deux ans, je l’ai rencontrée à un salon du livre ; elle venait de publier ses souvenirs. Je suis resté ridicule devant elle, et je regrette maintenant de ne pas lui avoir parlé davantage. Elle m’avait entendue l’évoquer à la télévision. C’était si étrange de la voir, alors que je n’avais d’elle qu’une vision de sa jeunesse cinématographique. Elle était alors une effraction de mes rêves. Et je pense aussi souvent à Jean-Pierre Léaud qu’on croise dans la rue, vers le cimetière Montparnasse, titubant. Les baisers sont définitivement envolés.