14 janvier > Roman Japon

I once had a girl, or should I say, she once had me… (Un jour j’étais avec une fille, ou plutôt c’était elle qui était avec moi), les accords de Norwegian Wood des Beatles ont l’effet d’une vague qui submerge le passager japonais du vol de la Lufthansa pour Hambourg. Bouffée de nostalgie qui fait refluer tous les souvenirs de Watanabe, le narrateur de La ballade de l’impossible d’Haruki Murakami, étudiant pendant l’effervescence contestataire du Tokyo de la fin des années 1960. Mal-être adolescent, amours de jeunesse, premières blessures, suicide… La veine lyrique s’est déployée magnifiquement dans le roman de l’écrivain né à Kyoto en 1949, également célèbre pour son écriture mâtinée de fantastique dans Chroniques de l’oiseau à ressort ou le magistral triptyque 1Q84. On la découvre ici en germe dans Ecoute le chant du vent (prix Gunzo 1979) et Flipper, 1973, les tout premiers romans de Murakami.

Ces deux titres "écrits sur une table de cuisine", alors qu’il était endetté jusqu’au cou à cause du bar de jazz qu’il avait ouvert avec sa femme, sont restés longtemps inédits en français (trente-sept ans !) parce que Murakami ne les considérait pas à la hauteur de ses autres ouvrages. Son œuvre débute véritablement à ses yeux avec La course au moutonsauvage (Seuil, 1990), qui clôt la "trilogie du Rat", pourtant commencée par Ecoute le chant du vent et Flipper, 1973, et où apparaît le personnage surnommé le Rat et ami du narrateur.

Ecoute le chant du vent nous entraîne vers une ville de province de l’archipel nippon au mois d’août 1970 dans les tribulations alcoolisées de deux ados : "le Rat" précité et celui qui dit "je" - pas le watashi formel de la première personne du singulier en japonais mais le boku, pronom masculin et familier, qui rapprocherait le narrateur du Holden de L’attrape-cœurs de Salinger. Ils refont le monde au J’s Bar, où débarque une jolie fille déjantée à qui il manque un doigt. Le narrateur la raccompagne chez elle un soir qu’il la retrouve ivre morte sur le sol des toilettes du troquet. S’ensuit une relation bizarre, intense et suspendue : ils ne coucheront pas ensemble. Elle disparaît du jour au lendemain. Le Rat, épris d’une femme qu’il n’épousera pas non plus, va devenir écrivain. Dans Flipper, 1973, on retrouve les deux personnages, mais avec entre eux 700 kilomètres de distance : le narrateur à Tokyo et le Rat resté en province. Le narrateur raconte sa relation avec Naoko (même prénom que l’héroïne de La ballade de l’impossible), l’une de ses trois ex-petites amies mentionnée dans le livre précédent, qui s’est suicidée : "Elle s’est pendue dans un petit bois misérable, tout près du court de tennis. Son corps resté là sans que nul ne s’en aperçoive jusqu’au début de l’année universitaire, en avril. Durant deux semaines, il s’est balancé au gré du vent." Aujourd’hui l’auteur confirmé plus indulgent envers lui-même et ses œuvres de jeunesse a heureusement levé l’embargo sur ces deux jolis romans d’initiation… aux regrets.

Sean J. Rose

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