Depuis trois jours, je me sens dans une ambiance Fabrice Luchini. Son spectacle dure davantage que deux heures. Je l’avais déjà vu deux fois, et je me souviens d’une représentation où il était passé de Céline à une digression monumentale (pendant au moins trois quarts d’heure) sur Jean-Claude Bourret. Sa femme (celle de Luchini, pas celle de Jean-Claude Bourret (tiens, je me dis que cela doit être quelque chose de vivre avec Jean-Claude, je tenterais bien l’expérience pendant une journée, on parlerait ovnis et utopies d’un retour de La Cinq) m’a gentiment proposé de venir le voir. C’était l’avant-dernière de son spectacle Carte Blanche, consacré notamment à Barthes et Valéry. Comme un leitmotiv comique, il ne cessait d’ailleurs de répéter qu’il n’en pouvait plus de faire ce spectacle, vivement que ça se termine, répétait-il, comme si on le dérangeait. Ce qui en soi est une superbe idée : souffler sur son public, le juger, et même le critiquer. Barthes, Valéry donc, Molière et Flaubert aussi, mais surtout Luchini : les autres, c’est toujours une façon de parler de soi (j’admets que ce n’est pas mon meilleur aphorisme (mais parfois il faut savoir écrire de mauvaises phrases pour mettre en valeur les bonnes (hum…))). Il évoqua entre autres le tournage de Perceval, la plus grande folie de Rohmer, sûrement une idée qui a du le foudroyer par une nuit de pleine lune. Dans cette évocation, un morceau de bravoure : parler le vieux français avec un accent pied-noir. Derrière moi, dans la salle, je retrouvais Isabelle Carré. Une actrice que j’admire définitivement, et que j’avais rencontrée quand j’avais écrit un portrait d’elle dans le JDD (que cette phrase est lourde (il faut savoir écrire des phrases lourdes…)). J’étais donc pris en sandwich d’admiration. Le grand passage du spectacle fut l’évocation de sa rencontre avec Roland Barthes. Il évoqua le mythe que fut cet homme. Tous les zombies du Palace enchaînaient avec une after suprême : son cours au Collège de France. Et Luchini, devant un amphithéâtre ébahi, avait obtenu le numéro du gourou. Et le voilà, balbutiant, reçu chez le grand maître. Par cette métaphore, il nous expliqua son émotion : « c’est exactement comme si Arlette Laguiller rencontrait Trostki ». Puis il obtint du génie, cette révélation foudroyante : « je suis basque ». Tout le reste n’est que littérature. J’avais eu la chance de rencontrer déjà Luchini, et notamment sur le tournage du prochain film de Cédric Klapich (ouhlala, comme je suis people ), et je suis donc allé le voir après en loges. En fait, je n’osais pas trop, mais j’ai croisé Alain Ichou, son attaché de presse. Nous avons acheté de nouvelles lunettes tous les deux, quasiment au même moment ; et l’on ne peut rien refuser à un collègue de la lunette. En loges, il y avait la réalisatrice Anne Fontaine et Hugues Aufray (deux antipodes du thermomètre). Il y avait aussi une très belle fille : dans l’émotion du moment, j’oubliais qu’elle était venue avec moi. « Ah Foenkinos, que tu es beau ! » me dit-il en me touchant le nez. Finalement, il me demanda ce que j’avais pensé du spectacle, quelle angoisse suprême. Tout le monde me regardait, et j’ai bafouillé : « je ne peux pas trop parler, c’est exactement comme si Arlette Laguiller rencontrait Trotski ». Luchini revient fin octobre sur scène, il faut absolument le voir au moins une fois sur scène. De toutes façons, il n’y a rien à perdre. Il ne cesse de répéter que son spectacle est gagnant-gagnant. Personne n’est écarté du chemin. Même les retardataires ont le droit à un résumé du début. Nous sommes dans l’ère de la bienveillance, dit-il. Et c’est tellement vrai, nous nous aimons tellement, n’est-ce pas ?