Il faut voir, ou faire des films. Parfois, certains heureux, plus doués que la moyenne pour l’une et l’autre de ces activités, arrivent à faire les deux. Jean-Charles Tacchella, par exemple. Nonagénaire alerte, le réalisateur de Cousin, cousine fut plus de vingt ans durant le plus grand succès du cinéma français outre-Atlantique. Il a commencé sa "carrière", presque enfant encore, en courant dans les rues de Marseille derrière Maurice Chevalier pour lui réclamer des conseils avisés. Il l’a finie, trop rapidement à son goût et à celui de ceux qui tiennent son œuvre pour une chronique précieuse, intimiste et humaniste de la France à l’heure des Trente Glorieuses et de la crise, en filmant au Luxembourg Julie Gayet. C’est assez dire que le voyage fut long, passionnant, et l’exercice toujours profitable.
C’est donc bien à un voyage au long cours que nous invitent aujourd’hui ses Mémoires. Tacchella a vu des milliers de films, rencontré plus encore des personnes magnifiques et vécu deux vies : celle qui est à peu près donnée à tout le monde et celle, mystérieuse, secrète, des salles obscures autant que des plateaux de tournage. Des films, il en a donc d’abord vu, oubliant grâce à eux les horreurs toutes proches de la guerre. Il a longtemps écrit à leur propos, notamment dans les pages de L’Ecran français à l’âge d’or de la cinéphilie. Puis il en a écrit lui-même, avant de passer, un peu sur le tard, à la réalisation. De tout cela, que reste-t-il au long des presque mille pages de ce fort volume ? Moins l’air du catalogue qu’une malle aux trésors dans laquelle le lecteur pourra piocher ce qu’il veut. Renoir, Bazin, Capra, Truffaut, Cocteau, mais aussi des plus oubliés et qui auraient mérité de ne pas l’être. Thérond, Ciampi ou Colpi par exemple, répondent à l’appel des souvenirs. Tacchella voit tout et tout le monde, fait collection de projets, d’échecs et de renaissances. Il garde pour le cinéma l’amour inconditionnel que seuls savent avoir les enfants et les fous. Jusqu’au bout, il sera l’un et l’autre.
Olivier Mony