Il faut se réinventer les uns avec les autres", plaide Marc Bittoré, le président de Gibert Joseph Paris. Le groupe de librairies a repris il y a tout juste un an à la barre du tribunal de commerce (1) l’enseigne parisienne cousine, Gibert Jeune, présente dans les 5e et 6e arrondissements, autour de la place Saint-Michel, et dans le 2e, à Strasbourg-Saint-Denis. Dans un premier temps, toutefois, Franck Ferrière, nommé en juin 2017 directeur général de Gibert Jeune, a surtout dû faire face aux urgences.
Urgences techniques d’abord avec l’intégration informatique et logistique de Gibert Jeune aux structures de Gibert Joseph, mais aussi avec le remplacement de tous les escalators du magasin principal, au 5, place Saint-Michel, après une panne en juillet dernier. Urgences managériales également avec la nécessité de rassurer le personnel et la volonté d’opérer des réaffectations tenant compte des souhaits émis par les salariés lors d’une "bourse aux postes" qui a permis à 25 des 110 libraires d’évoluer. Urgences économiques, bien sûr, avec l’allégement des frais de structures, en sous-traitant les fonctions administratives et de back-office à Gibert Joseph et en abandonnant le site logistique de Vitry, les bureaux du 4, place Saint-Michel, ainsi qu’une partie du magasin du 3, place Saint-Michel, dont l’indemnité d’éviction a permis d’autofinancer une grande partie des travaux en escalators. Urgences commerciales, enfin, avec la reconstitution des stocks en magasin, la fusion des deux sites Internet en un seul, baptisé Gibert.com, et la réorganisation de l’offre de Gibert Jeune dans les 5e et 6e arrondissements entre ses sept magasins qui occupent 2 700 m2 de surface.
"Il fallait redonner une cohérence et une lisibilité à notre organisation", explique Franck Ferrière, qui a ramené les rayons généralistes dans le seul point de vente du 5, place Saint-Michel, alors que, depuis 2015, ils étaient éclatés par thématiques dans les différents locaux. Situés respectivement au premier étage et au sous-sol, les rayons jeunesse et bande dessinée ont eu droit chacun à un étage entier. La littérature grand format, dont "la croissance et les résultats sont moindres", justifie Franck Ferrière, partage le deuxième étage avec les beaux-arts. "Désormais, si on veut ouvrir certains dimanches précédant Noël, on pourra le faire avec un seul magasin et offrir à la fois jeunesse, BD, littérature, beaux-arts, pratique et poche", se félicite le directeur général.
Plus anticonformiste
Pour accueillir tous ces rayons, l’enseigne en a sorti d’autres, à commencer par les produits dérivés, qu’elle a arrêté de vendre, et la papeterie, transférée au 4, place Saint-Michel sur 500 m2. Parallèlement, elle a reconstitué un pôle universitaire au 10, place Saint-Michel, gardé les langues et les livres en VO au 6, dédié le 2 à la braderie, qui constitue la dernière étape du solde, le 3 au scolaire et à l’achat d’occasion, et enfin le point de vente du quai Saint-Michel aux religions et à l’ésotérisme.
Saluant la grande autonomie d’action dont il dispose pour agir, Franck Ferrière annonce aussi des projets de rénovation à Strasbourg-Saint-Denis (2e) avec, entre autres, une nouvelle devanture. "Il faut rendre plus attrayant ce magasin situé dans un quartier en pleine transformation, affirme-t-il. Il y a ici un réel potentiel de développement."
Gibert Jeune renoue aussi avec les animations, en jouant une carte différente de celle de Gibert Joseph, "plus jeune et anticonformiste", assure Franck Ferrière, qui cite le débat organisé le 14 juin, avec les Femen et le MLF. "Après une année compliquée, on repart, se réjouit Franck Ferrière. Dans le 5e, l’activité progresse de plus de 20 % depuis la fin des travaux et des réorganisations, fin mai. Dans le 2e, le magasin a retrouvé sa vitesse de croisière, grâce notamment à nos efforts de communication."
Désormais, après la crise de l’an dernier qu’il n’avait pas vu venir, le personnel affiche une vraie confiance en l’avenir. "Nous prévoyons de retrouver un équilibre financier en 2021", annonce Franck Ferrière, rappelant que les ventes aux écoles n’ont pas été reprises car "non rentables en l’absence de plafonnement des remises".
Deux géants
Chez Gibert Joseph, Marc Bittoré considère les résultats de l’année écoulée "en ligne avec les prévisions". Mais, explique-t-il, l’objectif est d’amener Gibert Jeune à un niveau cohérent avec celui de Gibert Joseph, sur un plan économique mais aussi commercial, en augmentant la proportion des ventes d’occasion pour la rapprocher de 30% et en poussant l’enseigne "vers des marchés où elle n’est pas en force aujourd’hui, avec une offre plus généraliste". Cette orientation avait déjà été affichée, sans succès, par la précédente équipe dirigeante. Marc Bittoré reconnaît "le défi que représente le maintien de deux mastodontes à moins d’un kilomètre de distance" dans le Quartier latin. Au dernier exercice, Gibert Joseph (6e) réalisait 34 millions d’euros de chiffre d’affaires livres, et Gibert Jeune (5e) 22 millions. Les deux géants figurent respectivement au 1er et au 4e rang de notre dernier classement Livres Hebdo.
Relais de croissance
Pointant les différences d’image, "plutôt universitaire et scolaire pour Gibert Jeune, généraliste pour Gibert Joseph", mais aussi de clientèle, "jeune pour le premier, plus âgée et aisée pour le deuxième", Marc Bittoré annonce "un maintien des deux enseignes… pour l’heure". Le groupe souhaite par ailleurs trouver de nouveaux relais de croissance et teste de nouveaux formats avec la récente ouverture de corners à Paris, au Printemps Nation (en lieu et place du Merle moqueur), et à Toulouse, dans le centre commercial de Saint-Orens. Membre du comité de direction du groupe, Franck Ferrière explique que "l’idée de ces corners, ou de magasins de moins de 600 m2, est aussi de nous permettre d’offrir des points de dépôt-retrait à nos clients Internet".
(1) LH 1132, du 2.6.2017, p. 24-25.