6 février > Récit Grande-Bretagne

Changement d’éditeur et retour d’Alan Bennett avec La dame à la camionnette, récit paru à l’origine en 1989, soit juste après la mort de son "héroïne", si l’on ose écrire, Miss Shepherd.

En 1969, cette femme avait eu l’idée d’installer "à demeure" sa camionnette en face de chez Bennett, à Camden Town. Un quartier sans histoires. N’empêche que l’arrivée de la squatteuse, vivant dans son véhicule, n’est pas passée inaperçue. Miss Shepherd, femme assez mystérieuse d’une soixantaine d’années, était un personnage extravagant, une véritable emmerdeuse, bruyante, d’une saleté répugnante, excentrique. De surcroît politiquement réactionnaire et catholique intégriste. Dans sa jeunesse, elle avait même failli devenir nonne ! Exaltée, elle écrivait des lettres à tous les puissants, le pape ou Maggie, justement, et a songé, en 1984, à créer son propre parti, Fidelis, et à se présenter aux élections !

Bennett, lui, a suivi toute l’histoire de Miss Shepherd parce qu’un jour, aussi gentiment qu’imprudemment, il lui a proposé d’installer sa guimbarde dans son propre jardin. La dame serait ainsi plus à l’abri et pourrait bénéficier de quelques commodités. C’est peu dire qu’elle ne l’a guère récompensé de sa charité : tyrannique, se mêlant de tout, elle lui a pourri la vie durant pas moins de vingt ans. A la fin, devenue infirme, invalide, elle avait été prise en charge par un centre d’accueil, avant de revenir mourir dans son camion, le 28 avril 1989. Après sa mort, Bennett, "exécuteur testamentaire" malgré lui, triant ses affaires stratifiées dans un fumier indescriptible, découvre quelques papiers qui lui permettent de reconstituer l’itinéraire de Miss Shepherd, de comprendre mieux ce qui l’a conduite à la marginalité et à la misère. Il ajoutera le fruit de ses recherches en 1994, dans un Post-scriptum, à son récit construit comme une espèce de journal de ces années de cohabitation chaotique.

On retrouve dans ce livre tout le talent de Bennett, mais dans un registre plus social, plus grave que celui de ses livres précédents. Son humour s’y manifeste en demi-teinte, sauf à un moment, celui de l’enterrement de Miss Shepherd - à l’église catholique. "Je n’aurais jamais pu être catholique, prévient-il, je suis bien trop snob pour ça", avant de jouer les ethnologues satiriques : "Vient ensuite la communion proprement dite : le prêtre distribue ses gaufrettes à la religieuse de 99 ans et à la dame coiffée d’une plante en pot. » C’est là que l’on retrouve notre Bennett préféré.

J.-C. P.

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