Un cinquième de seconde suffit pour qu’un mot passe du papier à sa reconstitution dans notre cerveau, tant dans sa prononciation que dans son sens. Dans Les chemins de la lecture, un documentaire diffusé le 21 mars sur Arte à 22 h 50, jour d’inauguration du Salon du livre de Paris, Stanislas Dehaene, chercheur en psychologie cognitive et professeur au Collège de France, explique : « Le mot commence dans la rétine, puis est propagé dans les aires visuelles du cerveau, avant d’être littéralement éclaté. Chaque fragment de lettre est représenté par un neurone différent. » Vient alors le temps de la reconstitution du puzzle dans ce que les chercheurs appellent « la boîte aux lettres du cerveau », présente chez tous ceux qui ont appris à lire. Car, nous apprend l’auteur des Neurones de la lecture (Odile Jacob, 2007) et d’Apprendre à lire : des sciences cognitives à la salle de classe (Odile Jacob, 2012), l’apprentissage de la lecture modifie la structure du cerveau, et le scan du cerveau d’une personne illettrée présente des différences importantes avec celui d’une personne alphabétisée. Cette formidable mécanique neuronale, qu’un ordinateur ne saurait reproduire, s’est mise en place à partir des circuits anciens qu’utilisaient les primates pour reconnaître des formes de la nature ou des visages, grâce à un lent « recyclage neuronal ». « La lecture est la première prothèse de l’esprit », dit une voix off. S’il n’a pour l’instant pas subi de modification du fait de la lecture sur écran « qui s’attache encore à reproduire la page », le cerveau devra encore tracer de nouveaux chemins pour s’adapter aux lectures multimédias qui modifient trois dimensions essentielles : la visibilité, transformée par les contrastes et la luminosité, la lisibilité, par l’utilisation de polices aux formats et aux couleurs variables qui multiplient les caractères, et la compréhension, compliquée par la multiplicité des documents qui introduisent le son et la vidéo. A la manière, finalement, d’un tableau : «Un bon peintre sait ménager des chemins de lecture de son œuvre », conclut Jean-Pierre Gibrat, réalisateur du documentaire qui s’achève, un brin nostalgique, sur les toiles de Monet au musée Marmottan.
Marie-Christine Imbault