Après sa savoureuse série Un privé à la cambrousse, qui mettait en scène le détective épicier Hubert dans la France rurale des sixties, Bruno Heitz s'est lancé en 2021 dans une nouvelle série provinciale et policière située à la fin des années 1960, Les dessous de Saint-Saturnin. Ce petit village du Sud de la France, tranquille en apparence, où tout le monde se connaît, cache bien des secrets et des turpitudes. Dans le premier volume, Le bistrot d'Émile, la coiffeuse Annie partait sur les traces d'Émile, le sympathique bistrotier qui avait fermé son bar et disparu du jour au lendemain. Dans ce deuxième tome, Tiff'Annie (du nom du salon de coiffure de l'héroïne), c'est encore elle qui va être à l'origine de la résolution d'un nouveau mystère, la disparition de son voisin d'en face, le père Piquet.

Le père Piquet, cordonnier, serrurier, plombier, n'est pas particulièrement aimable. Radin, il ne rend service que contre de l'argent. Il ronchonne contre tout et tout le monde. Ses seuls amis, les rares avec qui il se montre généreux, sont les chats du quartier, qu'il nourrit de bons morceaux achetés à prix d'or à la boucherie - au bistrot, on le surnomme d'ailleurs « le larbin des chats ». Mais un jour, le père Piquet n'ouvre pas son échoppe. Le village s'inquiète, cancane, échafaude des théories, se rappelle un vague neveu en Ardèche, qui, prévenu, s'en fiche mais décide quand même d'aller voir sur place au cas où il y aurait un héritage à faire. Indignée par des découvertes scandaleuses l'impliquant et l'apparition de victimes félines et innocentes, Annie (que ses concitoyens persistent à appeler Tiffannie, confondant avec le nom de son salon...) se lance avec détermination dans l'enquête.

Bruno Heitz excelle dans la représentation de cette France fantasmée du passé, cette France à la Clochemerle, avec ses âmes mesquines et ses personnages au grand cœur, avec ses villages aux dessous pas toujours reluisants, déchirés par les commérages et les querelles de voisinage. Mais il ne tombe jamais dans le cliché car, empathique envers ses personnages, il sait leur insuffler toute la malice nécessaire leur permettant de sortir des stéréotypes. Faisant preuve d'un humour subtil, il les dépeint dans toutes leurs ambiguïtés et leurs failles, humains. Dans ses dialogues piquants, Bruno Heitz utilise force insultes surannées et expressions désuètes, qui, en plus de donner chair à ses héros, renforcent l'allégresse d'un récit déjà fort bien mené − récit servi également par un dessin simple mais néanmoins dynamique. Un album qui complète brillamment l'œuvre d'un auteur remarquable de constance et de qualité.