Bibliothèques et architecture : les chemins sinueux de la rencontre avec les publics…

Bibliothèques et architecture : les chemins sinueux de la rencontre avec les publics…

La question du public au cœur ne peut pas laisser de côté la question de l'architecture. Progressivement, devant la fragilité de la fréquentation de leurs établissements, les bibliothécaires réinterrogent la manière  dont ils conçoivent leurs services à la population. Ils ont le souci de se mettre en phase avec leurs publics. L'architecture des bibliothèques prend-elle en compte cette réflexion ? A l'évidence, le chemin n'est pas direct. Les architectes (encore plus quand ils sont créateurs de grands établissements) ont souvent tendance à réinterpréter le programme à partir d'un point de vue conceptuel. Ils en tirent des conséquences qui marquent la forme finale du bâtiment sans que les usagers ne perçoivent la cohérence de l'œuvre qui leur est imposée. Myrto Vitart qui a participé au projet de médiathèque A. Malraux à Strasbourg avec Jean-Marc Ibos expliquait lors d'une conférence à l'école d'architecture de Nancy que le cœur du projet résidait dans le respect de la linéarité du site et du bâtiment initial. Les anciens silos étaient en effet sur une presqu'île rectiligne avec un alignement d'arbres qu'il s'agissait de respecter. De ce fait le projet a mis l'accent sur la prolongation du bâtiment initial sans accroître sa largeur. Les planchers initiaux ont été rallongés en se soumettant à leur faible hauteur (3m contre les 4m que demandait le programme...). Qu'importe alors, la contrainte sera l'occasion de mettre en scène la linéarité des tuyaux de ventilation et autres. Ce sera aussi une occasion de faire allusion au caractère industriel de l'ancien bâtiment ainsi qu'une citation du centre Pompidou (allusion cultivée...). Et avec plaisir, l'architecte de mettre en avant la prouesse (sans doute réelle) qui a consisté à couler les poutres de béton en respectant le passage de ces tuyaux... Et on ne peut alors s'empêcher de poser les question qui fâchent : en quoi cela est-il perçu par les visiteurs du lieu ? Est-ce bien déterminant pour l'usage que les visiteurs veulent en faire : se connecter sur Internet, travailler en groupe, parler de l'actualité, etc.  ? Le manque de lumière à plusieurs niveaux de la médiathèque n'est-il pas un prix un peu cher à payer pour conserver cette cohérence ? Mais les architectes partent aussi des programmes des bibliothèques. Ils composent avec la manière dont les professionnels et les élus ont imaginé le lieu. La structuration de l'espace en fonction de l'ordre documentaire a-t-elle encore un sens à l'heure où les usagers viennent à la médiathèque pour utiliser l'espace de détente ou de travail, la sociabilité offerte, les ordinateurs, l'électricité ou le wifi ? Ne seraient-ils pas plus intéressés par une diversité d'atmosphères où les documents joueraient un rôle moins structurant qu'ils ne participeraient à leur définition au même titre que le mobilier, le décor, le son, etc  ? De même, la vision encyclopédique de la bibliothèque ne correspond plus à la manière dont la population envisage son rapport à l'information. Si les collections doivent demeurer encyclopédiques, leur présentation ne peut-elle pas prendre une autre forme qui soit plus en phase avec les représentations de nos contemporains ? Comment penser que les usagers en quête d'ouvrages sur les loisirs créatifs vont se retrouver dans un pôle « sciences et techniques » qui regroupe tant de domaines qui ne les intéressent pas ? Il est hélas des établissements récents, et certains à venir, qui sont conçus de la sorte. L'architecture des bibliothèques rencontre le même écueil que bien des aspects de la réflexion sur la bibliothéconomie. Plutôt que de prendre en compte la population telle qu'elle est dans sa diversité sociologique, on l'imagine aussi intelligente et subtile que ceux qui l'ont conçue. L'intention est généreuse mais produit un résultat bien différent : fréquentent la bibliothèque alors ceux qui se retrouvent dans le projet ou ceux qui ont suffisamment d'aisance pour surmonter les obstacles à son accès et entreprennent de détourner le lieu. Ainsi vont les chemins sinueux de la relation entre l'architecture des bibliothèques et la population... mais ne pourrions pas imaginer des voix plus directes et simples qui faciliteraient la communication ?
15.10 2013

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