Voici un livre très étrange, une énigme à plusieurs étages, ou à plusieurs chambres, puisqu’il y est beaucoup questions de coucheries, dont les clés ne sont pas fournies d’emblée. Il faut, pour une fois, citer la quatrième de couverture des Poésies libres de Guillaume Apollinaire (Points, n° 1999, 112 pages, 6,50 €), parce qu’elle participe du trompe-l’œil auquel nous sommes conviés : « Clandestins pendant un demi-siècle [je place entre les deux mots un tiret oublié] , Les onze mille verges et Les exploits d’un jeune Don Juan comptent parmi les œuvres les plus sensuelles et libertines d’Apollinaire. S’y ajoutent ces Poésies libres , pour la plupart publiées anonymement ou sous pseudonyme, et qui procureront un plaisir non moins intense aux amateurs de littérature, d’érotisme… et d’humour. » On ne sait pas, mais je me demande, si la personne qui a pondu ces quelques lignes – un enfer, la rédaction d’une quatrième de couverture – a lu dans le détail la préface savante (comme toujours) de Michel Décaudin et l’essai bibliographique qui la prolonge. Si cela avait été vraiment le cas, le petit texte destiné à attirer l’attention aurait-il été aussi péremptoire ? A moins que le dernier mot, « humour », suffise à désamorcer tout le reste… ? Car, d’Apollinaire, qu’est-il proposé dans ce petit livre ? Il y aurait, écrit le préfacier et annotateur, « quelques poèmes authentiques – mais peu représentatifs, il est vrai » dans cet ensemble attribué (rapidement ?) à Apollinaire. Michel Décaudin poursuit : « On peut avancer sans risque excessif d’erreur que ces recueils sont, pour leur plus grande part, nés vers 1925 dans un groupe que le lecteur un peu curieux n’aura pas de peine à identifier à travers les renseignements fournis par l’essai bibliographique » . 1925 ? Apollinaire est mort depuis sept ans. Et bien en peine, forcément, d’ajouter quelque chose à son œuvre – celle du plus grand poète français du 20 e siècle, me disait hier un ami qui a toujours tendance à exagérer, ce qui n’ôte rien au talent de l’écrivain, même si cela me fait douter du jugement de l’ami en question. Il faut donc bien que d’autres, imitateurs, pasticheurs, continuateurs, aient pris la plume. Le nom de Pascal Pia résonne le mieux. Il n’est probablement pas le seul. Les pistes sont brouillées. Le service de presse de Points joint à l’envoi une feuille où il est question de « l’authenticité délibérément ambiguë » des trois recueils ici rassemblés. L’ambiguïté délibérée semble être, pour le coup, surtout l’œuvre de l’éditeur : les quelques poèmes authentiques de Guillaume Apollinaire retenus dans le volume ne font pas un livre. Avec l’addition des autres, oui. Et savez-vous quoi ? Le pire n’est jamais sûr : au total, c’est un livre sacrément (foutrement ?) bon !